Alors que la santé scolaire est désormais présentée comme une « priorité nationale », les annonces récentes de la ministre Borne peinent à convaincre. Le plan dévoilé, bien que structuré autour de douze mesures, apparaît déconnecté des réalités, faute de moyens humains et financiers pour être véritablement mis en œuvre. Si le cap est affiché, les leviers concrets manquent.
Une volonté politique affichée, mais des moyens absents
La Première ministre Élisabeth Borne a annoncé une revalorisation des carrières médicales dans l’Éducation nationale, dans un contexte où près de 40 % des postes de médecins scolaires sont vacants. Cette revalorisation pourrait atteindre jusqu’à 500 euros bruts mensuels, notamment en début et en fin de carrière. Elle a également évoqué un renforcement des effectifs d’infirmiers et de psychologues scolaires, des mesures qui doivent encore faire l’objet de négociations dans le cadre du projet de loi de finances 2026.
Pour les syndicats, ces annonces restent largement insuffisantes. Le Snics-FSU, le Snuas-FP FSU, le Snes-FSU et le FSU-Snuipp dénoncent des mesures « étroites » et « inadaptées ». Dans un communiqué du 14 mai, ils affirment que les propositions « relèvent davantage du cache-misère que d’une véritable ambition » et appellent à un changement de cap, avec des moyens humains supplémentaires et une revalorisation de l’ensemble des personnels médico-sociaux.
Un plan structuré… mais sans personnels pour l’appliquer
Le plan « Santé et réussite des élèves » s’articule autour de quatre priorités : agir dès le plus jeune âge, renforcer les partenariats avec les structures de santé, améliorer la détection des troubles et développer la prévention. Il prévoit notamment que d’ici la rentrée 2026, 100 % des élèves bénéficient d’un suivi médical, contre seulement 20 % actuellement. Concrètement, des bilans médicaux à 6 ans devraient être organisés en lien avec les médecins scolaires, infirmiers, psychologues, PMI et pôles ressources. Mais dans un contexte de pénurie massive de personnels, la faisabilité de cette généralisation interroge. Actuellement, il y a un médecin pour 13 000 élèves, un.e infirmière pour 1300 élèves et un.e psychologue pour 1500 élèves et les bilans comme suivis des élèves sont difficilement mis en place.
Des référents et conseillers désignés, mais peu de précisions
Parmi les mesures : la nomination, à partir de septembre 2025, d’un psychologue de l’Éducation nationale comme conseiller technique en santé mentale dans chaque département. Aucune précision n’est apportée sur les contours de cette nouvelle fonction, ni sur une éventuelle revalorisation. De même, deux personnels « repères » en santé mentale par circonscription et établissement du second degré seront formés pour identifier les signes de souffrance psychique chez les élèves et les orienter. Les personnels éducatifs et médicaux voient donc les missions s’étoffer de missions déjà sinistrées.
Des formations, des modules… en ligne
Le plan prévoit également des formations pour les inspecteurs du premier degré et les personnels de direction, avec un démarrage en juin 2025. Des modules d’auto-formation seront proposés en ligne, mais leur contenu, leur durée et leur intégration dans le temps de travail restent flous. En l’absence de formation structurée et généralisée, la mise en œuvre effective de ces dispositifs repose une fois encore sur la bonne volonté individuelle.
Un plan d’action numérique, sans présence humaine
Le plan mise fortement sur le numérique, avec le déploiement d’un module baptisé « L’AIDER », destiné aux élèves à partir de janvier 2026. Objectif : leur apprendre à repérer la détresse chez leurs camarades. Il est aussi prévu de renforcer les compétences psychosociales de la maternelle à la 3e, en lien avec le socle commun de connaissances. Des kits de formation seront mis à disposition des établissements, et des outils visent à améliorer le climat scolaire.
Mais pour de nombreux acteurs de terrain, ces outils ne sauraient remplacer une présence humaine, ni répondre aux urgences actuelles. Les besoins en accompagnement, en écoute et en soins restent criants, tandis que les équipes éducatives se retrouvent en première ligne, souvent sans appui ni formation spécifique.
Une réalité alarmante, une réponse jugée hors sol
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 13 % des enfants de 6 à 11 ans souffrent de troubles psychiques selon l’enquête ENABEE, 15 % des adolescents sont à risque élevé de dépression. Un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups, deux par classe sont victimes de violences sexuelles. Face à ces données alarmantes, les annonces gouvernementales apparaissent comme largement en décalage.
Sans financements supplémentaires, sans recrutements massifs, sans formation renforcée des personnels, les ambitions affichées risquent de rester lettre morte. Comme le résume un syndicat : « Répondre à la souffrance psychique par des écrans, des référents sans moyens, et des formations en ligne hors temps scolaire, c’est refuser de regarder la réalité en face. »
Djéhanne Gani
