Place de l’IA, retour sur son histoire, recommandations pour les élèves, éducation à l’IA et lien avec l’esprit critique : Didier Roy et Pierre-Yves Oudeyer, les auteurs de C’est pas moi, c’est l’IA répondent aux questions du Café pédagogique. « Plus [les élèves] comprennent comment ça fonctionne, plus ils perçoivent la nécessité de faire preuve d’esprit critique, de curiosité et de muscler leur métacognition, c’est-à-dire leur capacité à réfléchir sur ce qu’ils savent et ne savent pas, à reconnaître leurs erreurs, à comprendre comment ils fonctionnent dans leurs apprentissages » affirment-ils.
Pourquoi et pour qui est destiné ce livre ?
L’IA, en particulier générative, occupe une place croissante dans la société, où elle est parfois mal comprise et entraîne questionnements et inquiétudes, notamment chez les jeunes. Et pourtant ces derniers sont très utilisateurs, plus de 90% des 14-18 ans ont déjà utilisé ChatGPT pour faire leurs devoirs, et 80% pensent que les réponses sont fiables, alors que ce n’est pas du tout le cas. Il nous a paru essentiel de les éclairer, de montrer comment l’IA fonctionne, à quoi elle sert et quels en sont les bénéfices et les risques.
Démystifier l’IA, séparer le vrai du faux, clarifier ce qui relève de l’humain et de la machine, séparer le « c’est moi » de « c’est l’IA », permet de mieux l’utiliser et de se protéger des mauvais usages.
C’est (pas) moi, c’est l’IA est destiné et utile à toutes et tous, pas seulement aux ados, nous l’avons écrit dans cet esprit, avec l’ambition de parler de choses complexes de façon simple et engageante, tout en restant rigoureux.
Vous retracez le parcours de l’IA, l’IA n’est pas un fait nouveau ?
L’ambition de construire des machines “intelligentes” capable d’égaler voire de surpasser l’Homme, est très ancienne, dès l’antiquité.
Plus précisément, en 1915, « Electric Dog », un robot électrique roulant, en bois et en fer, roulant, équipé de deux capteurs optiques, a épaté le monde entier par ses déplacements autonomes vers une source de lumière, inspiré des papillons de nuit. Les médias de l’époque parlèrent même de « super intelligence », mais ensuite, tout le monde a un peu oublié…
L’« intelligence artificielle » voit officiellement le jour lors d’une conférence à Dartmouth (USA) en 1956, en tant qu’expression et comme domaine de recherche scientifique. Après des hauts et des bas (« hivers » de l’IA), elle s’impose dans les années 2000 grâce à un monde devenu numérique, produisant énormément de données, et grâce aussi à la puissance des ordinateurs devenue colossale.
Dans les années 2020, c’est l’explosion de l’IA générative, le logiciel ChatGPT par exemple réunissant en 2022 100 millions d’utilisateurs en deux mois, pour atteindre aujourd’hui près de 200 millions d’utilisateurs.
Vous donnez des conseils pour des élèves, à partir de quel âge et pour quel usage scolaire ?
Disons à partir de 12 ans, mais possible plus tôt avec un accompagnement. Un usage intéressant de l’IA générative par les élèves peut être l’exploration de thèmes, d’idées, de créations, en vérifiant toujours que les informations fournies sont vraies, l’IA générative produisant parfois des informations erronées.
Un autre usage à considérer est l’aide à la compréhension de certaines notions, en demandant des explications détaillées, ou encore l’aide à la révision en demandant la création de quizz sur des thèmes donnés. On peut par exemple donner une photo de son cours d’histoire et demander à l’IA générative de poser des questions dessus.
En pensant toujours à vérifier les réponses, à récouper les informations.
Trop faciles ou inutiles les devoirs à l’ère de l’IA ?
En réalité, ni l’un ni l’autre, plutôt différents. C’est sûr que faire faire des devoirs à la maison « à l’ancienne », en évaluant la production écrite, n’est plus vraiment pertinent, l’IA générative étant capable de les produire et de mieux en mieux, en simulant le style d’un ado, en ajoutant des fautes pour faire plus vraisemblable, il deviendra de plus en plus difficile de distinguer l’IA de l’humain, même si cela dépend des matières et du niveau des élèves.
On peut toutefois établir un protocole éthique avec les élèves leur demandant de préciser quand ils ont utilisé de l’IA pour écrire le devoir.
Il faut aussi leur dire combien il peut être contre-productif de faire appel à l’IA, comme le montre une étude scientifique réalisée dans une grande école de commerce. On a donné à deux groupes d’étudiants le même travail de rédaction à faire, l’un des deux groupes le faisant sans aide et l’autre groupe pouvant s’aider du même travail fait par ChatGPT dans un document qu’on leur donne. Ils pouvaient utiliser ce document comme ils voulaient, recopier, modifier, ou ignorer. Le travail a ensuite été corrigé par des enseignants ne connaissant pas les groupes, et ceux qui avaient le document ont eu de bien moins bons résultats, en moyenne 6 points sur 20 en moins. Ils ont eu beaucoup de difficultés à s’éloigner de ce qui était proposé par ChatGPT (qui peut écrire des âneries), ils ont manqué d’esprit critique.
En résumé, des pistes intéressantes peuvent être de privilégier les évaluations en classe, de suggérer aux élèves des usages de l’IA générative pour aider à la réflexion, au défrichage d’idées, tout en insistant sur le mauvais usage qui consiste à faire faire le travail par l’IA, qui freine également les progrès des élèves.
Quels garde-fous ?
Le premier garde-fous est l’éducation des élèves à l’IA. En effet, plus ils comprennent comment ça fonctionne, plus ils perçoivent la nécessité de faire preuve d’esprit critique, de curiosité et de muscler leur métacognition, c’est-à-dire leur capacité à réfléchir sur ce qu’ils savent et ne savent pas, à reconnaître leurs erreurs, à comprendre comment ils fonctionnent dans leurs apprentissages.
Par ailleurs, cette éducation est l’occasion de leur faire comprendre les usages toxiques de l’IA, comme les fake-news et autres deepfakes, et qu’il y a des lois sur le respect des personnes. Il ne faut pas hésiter à commencer cette sensibilisation très tôt, on peut jouer dès le plus jeune âge à déceler des erreurs, comprendre certaines bases de l’IA et du fonctionnement de son cerveau, même de façon modeste. De même, une formation de base des enseignants à l’IA est devenue indispensable.
Propos recueillis par Djéhanne Gani
C’est pas moi, c’est l’IA. Didier Roy, Pierre-Yves Oudeyer, Nathan, 2024
