« Offres illisibles, des inégalités et une désorganisation ». Parcoursup constitue l’aboutissement du parcours d’orientation scolaire, mais le débat qui l’entoure ne doit pas occulter un enjeu plus large : celui d’une orientation scolaire profondément marquée par les inégalités. Dans son rapport public 2025, la Cour des comptes dresse un constat sans appel sur l’orientation des collégiens et lycéens, qu’elle juge inefficace, inéquitable et socialement déterminée.
Un échec structurel de l’orientation scolaire
La Cour qualifie le système actuel d’échec : « Le processus d’orientation tend […] plutôt à amplifier le déterminisme social ». Derrière les discours sur le “choix” d’orientation, nombreux sont les élèves à subir des décisions, particulièrement dans la voie professionnelle. Familles mal informées, manque de moyens et de formations pour les personnels, information peu lisible, multiplicité d’acteurs peu coordonnés : le constat est celui d’un déséquilibre structurel.
Pour la Cour, l’orientation est un maillon central du parcours scolaire, qui prépare aussi bien l’insertion professionnelle que l’épanouissement personnel. Les enjeux sont à la fois individuels et collectifs. Pourtant, malgré des moyens conséquents (8 000 ETP, 400 millions d’euros par an), les résultats ne sont pas au rendez-vous. Pour la Cour des comptes, l’orientation au collège et au lycée « s’inscrit au cœur du système éducatif, en conduisant les élèves à travers les différents paliers du parcours scolaire, puis vers l’insertion professionnelle. Les enjeux individuels et collectifs sont majeurs : ils portent non seulement sur l’équité, afin de dépasser les déterminismes constatés, mais aussi au plan économique, sur la réponse aux besoins de compétences du marché de l’emploi et de la société en général ».
Une orientation marquée par les inégalités
La Cour met en lumière dans son rapport public annuel publié en mars 2025 les déterminismes social, territorial et genré qui influencent fortement les parcours. Le système d’orientation « souffre de fortes inégalités ».
Les élèves de milieux modestes sont surreprésentés dans la voie professionnelle. À résultats équivalents, leur orientation dépend davantage de leur origine sociale. Dans les zones rurales, le choix de filières professionnelles est souvent lié à un attachement local.
Le rapport de la Cour des comptes confirme et met à lumière la difficulté de la mobilité du système éducatif français. Moins d’1élève sur 2 (45%) des enfants d’inactifs sont en difficulté, et 1 enfant sur 4 (26%) des enfants d’ouvriers contre 1 sur 20 (5%) des enfants de cadre supérieur.
Orientation subie : le ressenti des élèves
Près de 40 % des jeunes considèrent leur orientation comme subie. 35 % des collégiens et 25 % des lycéens se déclarent insatisfaits de l’accompagnement reçu. À l’arrivée dans l’enseignement supérieur, 1 bachelier sur 5 regrette son choix.
Le rapport souligne que 40 % des élèves orientés vers la voie professionnelle le sont de manière contrainte, faute de place ailleurs ou d’alternatives accessibles. Les rapporteurs relèvent que « l’affectation par établissement, en fonction des places disponibles, ne correspond pas toujours aux désirs des jeunes ni aux besoins du marché de l’emploi. Les formations industrielles restent peu attractives ».
Or les réorientations étant extrêmement rares après la seconde avec 1 à 1,5% des élèves de seconde générale évoluant en 1ere technologique ou générale et inversement pour 2,5 à 3% des élèves de Seconde générale vers une Première professionnelle ou un CAP, « l’orientation post-troisième revêt donc un caractère quasi-irréversible ».
L’affection en voie professionnelle concerne majoritairement des élèves de milieu défavorisé et en fait une voie socialement défavorisée. En Suisse, cette voie concerne 70% des élèves, et elle est socialement valorisée.
« Le processus d’orientation tend […] plutôt à amplifier le déterminisme social »
La responsabilité d’un système et la reproduction des inégalités apparaît quand les rapporteurs relèvent qu’« à notes égales et vœux égaux, les décisions des équipes éducatives surdéterminent l’orientation des jeunes de familles défavorisées vers la voie professionnelle après la troisième. Les choix d’orientation restent également très genrés à tous les niveaux de formation ».
Des recommandations concrètes, mais un manque de pilotage
Parmi les pistes proposées, la Cour recommande d’introduire un module obligatoire d’orientation dans la formation initiale des enseignants et d’« adapter l’emploi du temps des professeurs principaux pour leur permettre d’assurer la mission d’orientation ». Elle suggère également d’expérimenter un rapprochement entre les différentes voies du lycée (générale, technologique, professionnelle) dans des régions volontaires.
Cependant, elle déplore le transfert de la mission d’orientation aux professeurs principaux sans moyens spécifiques ni formation. Ceux-ci touchent une indemnité (ISOE), mais sans bénéficier d’heures dédiées.
Un transfert de la mission « orientation » au professeur principal sans moyens dédiés ni formation
La Cour pointe les nombreuses réformes menées depuis 2018, et le besoin d’accompagnement des familles. La Cour des comptes souligne un transfert de la mission d’orientation du Psy-En au professeur principal sans mise en place de formation, initiale ou continue. Pour les rapporteurs, l’« absence de moyens fléchés et la charge de travail expliquent la difficulté à concrétiser une politique d’orientation ».
La Cour des comptes évoque deux outils du Ministère en cours de développement pour accompagner les équipes pédagogiques : le programme Avenir(s) de l’Onisep. Elle pointe « une incertitude technique et politique vis-à-vis des régions qui, ont, elles aussi, développé des sites dans le cadre de leur compétence d’information sur les formations régionales ». Le deuxième outil est le module « monProjetSup » également avec l’Onisep avec des informations statistiques de Parcoursup. Les rapporteurs précisent que « l’absence de transparence des critères de décision retenus par les établissements d’enseignement supérieur constitue cependant une caractéristique de Parcoursup par rapport aux plateformes comparables d’autres pays ».
Une gouvernance confuse entre État et régions
Depuis 2018, la répartition des responsabilités entre État et régions demeure floue. La loi confie aux régions l’organisation d’actions d’information, sans leur accorder la pleine compétence. Seuls 22 % des établissements scolaires font appel aux ressources documentaires régionales. Si certaines régions revendiquent un transfert total, la Cour estime qu’il impliquerait de leur confier des décisions pédagogiques qui relèvent de l’État – une perspective qu’elle ne valide pas à ce stade. Elle appelle à clarifier les responsabilités, sans toutefois recommander un transfert complet de compétence aux régions.
Pour la Cour, il y a nécessité d’articuler orientation et offre de formation en lien avec les réalités économiques locales, avec un pilotage politique fort à l’échelle régionale, ce qui est le modèle de la réforme de la voie professionnelle, avec les « bureaux d’entreprise » : « l’orientation ne peut être dissocié de l’offre de formation, qui doit s’adapter localement aux besoins de l’économie », et nécessite « un pilotage politique et stratégique fort au niveau régional, en lien avec le tissu économique ».
Elle recommande la création d’instances d’orientation dans les établissements, intégrant parents, acteurs économiques et associatifs, pour mieux ancrer les actions dans les territoires.
Une multiplication des acteurs et une offre illisible
L’orientation est l’affaire d’une multiplicité d’acteurs, publics et privés, face auxquels les familles et les élèves sont parfois perdus. Les plateformes privées se développent sans garantie de fiabilité, ce qui soulève des questions sur la sécurité des données et l’égalité d’accès à l’information.
L’objectif non atteint d’obligation de formation de 16 à 18 ans
La loi de 2019 donne pour objectif l’obligation de formation pour les jeunes de 16 à 18 ans. Pourtant, selon la Cour sur les 1,6 millions de jeunes, environ 150 000 sont concernés par cette obligation de formation. Mais il manque la garantie de repérage, d’accompagnement et de suivi à la réussite de cet objectif. Par ailleurs, les inégalités territoriales pénalisent les jeunes ruraux, en termes de mobilité et d’offre.
Des rapports qui s’accumulent, une action qui tarde
Ce rapport de 2025 fait écho à ceux de 2020 et 2023, déjà critiques. Tous soulignent les mêmes maux : désorganisation, manque de coordination, inégalités persistantes, et orientation plus subie que choisie. La Cour des comptes conclut à la nécessité d’un vrai changement de cap, questionnant l’orientation, et ses enjeux d’équité entre diffusion d’informations et mise en adéquation avec les besoins économiques ? Quid des finalités éducatives, citoyennes et sociales de l’école ?
Djéhanne Gani
