En France, 1 étudiant sur 4 est désormais inscrit dans une formation privée (26% des étudiants français contre 13% dans les années 90) dont plus de la moitié (16% ) dans le privé lucratif. Des classes surchargées, des conditions de travail dégradées pour les professeurs, des formations sans qualité, au profit de la rentabilité : pour Claire Marchal, « il y a un enjeu fort à renforcer la transparence autour des formations sur Parcoursup et en dehors de Parcoursup, pour que les étudiants puissent faire des choix d’orienter en ayant toutes les informations en mai ». Dans son enquête Le Cube publiée en mars 2025, elle dénonce les pratiques et dérives du groupe Galiléo, premier groupe d’enseignement privé européen. Le Café pédagogique lui pose quelques questions au lendemain des premiers résultats sur la plateforme Parcoursup.
Le MEN a annoncé une inspection interministérielle pour une plus grande transparence et le député socialiste E. Grégoire a déposé le 5 mai 25 une loi pour « mieux encadrer l’enseignement privé à but lucratif » visant à protéger les étudiants. La proposition de loi devrait imposer le remboursement des frais de scolarité en cas de départ anticipé de l’étudiant dans un délai de deux mois après le début de la formation. La loi veut également interdire les droits de réservation. Mieux encadrer le supérieur privé, une urgence politique et sociale ?
La part des effectifs étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur privé a quasiment triplé ces 15 dernières années, favorisée par les inscriptions dans le secteur du « privé lucratif ». Ce secteur, ce sont des groupes souvent détenus par des fonds d’investissement privés. Je me suis principalement intéressée à Galileo Global Education, leader du secteur, qui comptabilise entre 250 000 et 300 000 étudiants, inscrits dans quasiment 70 écoles (Cours Florent, Strate, Pennighen, Paris School of Business, ESG…), implantées dans une centaine de pays.
De plus en plus d’étudiants s’y inscrivent, attirés par les discours de communication très attractifs sur les salons étudiants ou en ligne. Il faut débourser 6500 à 10 000 euros par an en moyenne pour payer la scolarité et donc, beaucoup de famille s’endettent, quand ce n’est pas l’Etat qui paie à travers les fonds de l’apprentissage.
Le secteur de l’enseignement supérieur privé lucratif est donc en pleine croissance, mais la course à la rentabilité de certains groupes ou établissements privés peut amener à des dérives qui ont des conséquences sur la qualité des enseignements ou l’insertion professionnelle des étudiants.
Quelles sont les principales pratiques et dérives que vous révélez ?
Chaque étudiant paie ses frais de scolarité annuels de 6500 à 10000 euros en moyenne. Pour faire du bénéfice, ces écoles ont donc intérêt à gonfler les effectifs étudiants des écoles. Or, certaines écoles saturent, sont surbookés d’élèves. J’ai recueilli des témoignages de plus de 150 personnes dont des dizaines d’étudiants et salariés de ces écoles, et beaucoup me racontent qu’il n’y a pas assez de place pour s’asseoir en salle de classe par exemple.
Pour gagner en rentabilité, certaines écoles vont aussi diminuer le nombre d’heures de cours par semaine, ou recruter des anciens étudiants comme intervenants pour donner cours, quand bien même ils ne sont pas formés à la pédagogie.
La poursuite de rentabilité peut aussi avoir des conséquences sur les conditions de travail des salariés de ces groupes d’enseignement privé lucratif.
Le Cube, un titre mystérieux, qu’est-ce que c’est ?
Au fil de mes deux ans d’enquête, j’ai recueilli plus de 900 documents dont un grand nombre interne et confidentiel au groupe Galileo Global Education. Parmi ces éléments se trouvent des enregistrements de réunions entre directeurs d’écoles et la direction du groupe. Lors de ces rencontres hebdomadaires, le « Cube » est souvent mentionné, et semble être un indicateur de la performance du groupe. Et en effet : il s‘agit du nom du logiciel utilisé par le groupe pour analyser sa performance. Il permet notamment d’observer la croissance du nombre d’étudiants inscrits dans les écoles du groupe, en temps réels. Pour les directeurs des écoles avec lesquels j’ai échangé, le Cube est une boussole mais aussi parfois une source de pression.
Un système orienté vers le profit plus que l’éducation ?
Beaucoup d’étudiants m’ont raconté avoir traversé de grandes périodes de détresse pendant ou à l’issue de leur formation. Ils se disent déçus par les conditions d’enseignement dans leurs écoles, et se sentent coincés : ils ont déjà payé des milliers d’euros, comment agir ? Plusieurs élèves m’ont dit avoir abandonné malgré tout. Souvent, ils changent de branche, abandonnent leurs rêves. Ceux qui restent me disent avoir eu des difficultés à trouver emploi à l’issu de la formation, comme Marie par exemple à l’école Bellecour à Lyon, après une formation dans le jeu vidéo pour laquelle elle s’est endettée lourdement. Ces anciens étudiants auraient souhaité avoir plus d’informations sur le nombre d’heures de leur formation, sur les profils des intervenants, sur les débouchés professionnels.
Du côté des salariés, j’ai trouvé un certain nombre de personnes en grande souffrance : burn out, dépression… Elles me disent avoir vécu dans une profonde dissonance, entre leur volonté d’accompagner la jeunesse vers l’avenir et des objectifs de rentabilité à poursuivre qui ne le permettent pas forcément…
Quel rôle joue Parcoursup dans ce système ? Et la loi ORE 2018 ?
On sait que l’orientation, et la plateforme Parcoursup sont une source d’anxiété pour un grand nombre de jeunes qui ont peur de ne pas avoir l’orienter de leur choix. Ces établissements privés lucratifs offrent une solution à cette anxiété : ils ne sont pas sur Parcoursup : c’est un argument commercial.
Je me suis rendue sur les salons étudiants, et j’en ai fait l’expérience. Les représentants de ces écoles disent aux étudiants que comme les formations ne sont pas sur Parcoursup, ils peuvent s’y inscrire directement, sans passer par le calendrier « officiel » de la plateforme. Il est donc possible de se « sécuriser » une place en formation dès le mois de janvier, souvent en payant des centaines d’euros de frais ou d’acompte sur les formations.
Il y a donc un enjeu fort à renforcer la transparence autour des formations sur Parcoursup et en dehors de Parcoursup, pour que les étudiants puissent faire des choix d’orientation en ayant toutes les informations en main.
Propos recueillis par Djéhanne Gani
