Anabelle et Béatrice sont enseignantes en cycle 2. Depuis qu’elles ont participé à une recherche sur le travail enseignant à distance, elles se posent des questions sur le type d’informations que l’on peut donner à des élèves sur sa vie privée. Elles arrivent à un point de désaccord. Frédéric Grimaud relate des entretiens de professeur.es des écoles qui parlent de leur métier. Chaque semaine, retrouvez deux d’entre eux et d’entre elles qui expriment un point de vue différent sur la manière de faire leur métier, qui n’utilisent pas les mêmes outils pour réaliser leur tâche, qui ne font pas les mêmes gestes professionnels.
« Ma vie privée, sans trop en dire de manière volontaire, elle fait déjà partie du quotidien de la classe »
Anabelle : Moi le matin je fais toujours un peu parler les élèves sur leur quotidien. Ce n’est pas vraiment un « quoi de neuf » mais ça permet de commencer la journée, surtout en début de semaine ou retour de vacances. Et puis, au moins le reste de la journée ils sont moins tentés par me raconter leurs vies. Alors c’est vrai parfois, je raconte aussi des choses. Depuis le confinement, où on se voyait tous les jours en vidéo, ils savent comment c’est chez moi. Ils connaissent mon chat par exemple. Et puis y’a des choses que je leur dis aussi par ce que ce n’est pas sans intérêt pour la classe. Quand j’étais allé en Egypte par exemple, j’en ai profité pour ramener plein de choses que j’ai exploitées dans la classe tu te doutes. Et là ben je vais aller au Canada cet été, ils le savent déjà et pareil, je ramènerai des choses.
Donc ma vie privée, sans trop en dire de manière volontaire, elle fait déjà partie du quotidien de la classe. C’est poreux entre mon chez moi et ma classe. Attention, c’est hyper limité mais quand même on ne peut pas dire que les enfants ne savent pas un peu comment vit leur maîtresse. Rappelle-toi quand on leur parlait tous les jours en visio, les premiers trucs qui les intéressaient c’était si j’étais dans ma cuisine, dans mon jardin ou dans mon salon !
« Plus les années passent, je trouve, et plus je suis vigilante à ça »
Béatrice : Eh ben moi c’est un truc qui m’a beaucoup gênée. Je n’avais pas envie que les élèves puissent voir chez moi et j’ai pris de grandes précautions. Tu sais dans mon école, la plupart vivent en dessous du seuil de pauvreté et ce n’est quand même pas rien, pendant qu’ils sont confinés à 5 dans un 3 pièces de leur parler depuis ton jardin. Plus les années passent, je trouve, et plus je suis vigilante à ça. Donc à la question « Est-ce que ça me gêne que les élèves sachent des choses sur ma vie privée ? », je réponds oui. Surtout pour une question de ne pas manifester de manière ostentatoire une différence de niveau de vie. Cela me gênerait beaucoup. Après je sais bien que on n’y peut rien.
« L’image qu’on renvoie, ce que les élèves savent de nous, c’est très important en fait dans la relation pédagogique »
Les habits, la manière de se coiffer, les quartiers où on vit … je sais bien que tout traduit une différence. Mais je remarque qu’on n’y pense pas assez. On ne fait pas assez attention à ça alors que ce n’est pas rien. Les enfants, pendant la journée, ils ont 6 heures à te regarder et à te décortiquer. Alors ce que tu renvoies comme image c’est important. Et moi c’est la crise COVID et le confinement qui m’y ont fait penser. A chaque fois que je préparais une visio je pensais à comment j’allais m’habiller alors qu’en vrai j’étais souvent en pyjama ou en jogging. Et puis j’ai toujours mis l’ordi dans la cuisine sans trop en dire de comment je vivais. Pendant cette période j’ai beaucoup pensé à ça. Alors qu’en vrai, on devrait y penser tout le temps. L’image qu’on renvoie, ce que les élèves savent de nous, c’est très important en fait dans la relation pédagogique.
Le mot du chercheur : Le recherche menée à la sortie de la période de confinement a permis de revenir sur cette période particulière dans l’histoire du métier enseignant. Une période qui a laissé de nombreuses traces. Durant le confinement, les enseignant.es ont été amené.es à communiquer à distance, depuis leurs domiciles, avec leurs élèves. Et lorsque cela s’est fait en vidéo, Béatrice et Anabelle ont été invitées à se poser la réflexion de l’image qu’elles renvoyaient à leurs élèves d’elles-mêmes, au travers de leurs maisons ou de leurs habits. Des réflexions qui les poursuivront une fois cette période terminée.
Frédéric Grimaud
