C’est à la question de la souffrance psychique que la collection ALT, collection dédiée aux 15-25 ans, s’intéresse dans sa dernière publication Santé mentale, comment faire face ? dont la rédaction a été confiée à Samuel Dock, docteur en psychopathologie, psychologue clinicien et écrivain. Il y entame avec les lecteurices un dialogue respectueux, qui déconstruit les idées reçues, cherche à rassurer, sans nier ou relativiser la souffrance, et invite à dire sa douleur. Car « parfois, on a simplement besoin d’être écouté par quelqu’un d’autre qu’un proche, par quelqu’un dont c’est le métier et qui n’attend pas son tour de parler ». Un discours à porter aussi par l’école.
L’âge de tous les dangers
D’abord ne jamais laisser personne dire, pour paraphraser Nizan, que l’adolescence est « le plus bel âge de la vie ». Comme l’explique Samuel Dock « autour de 15 ans se joue l’entrée dans l’adolescence, la période de la vie la plus sensible sur le plan psychique. » Transformations physiologiques et bouleversements endocriniens lié·es à la puberté conduisent les adolescent·es à « devoir composer avec une représentation de leur corps changeante » et « des vécus émotionnels nouveaux qui vont littéralement pulvériser leurs limites psychologiques ». L’enfance s’éloigne et « on prend conscience de sa finitude ».
Entre désir et mort, on teste ses limites. C’est l’âge « à haut risque », l’âge des conduites à risques (addictions, scarifications, troubles du comportement alimentaire…) qui relèvent en réalité paradoxalement souvent davantage de « tentatives de reprendre la main sur une individualité qui se dérobe », que d’une « affection émergente psychique ». Mais entre « désarroi ordinaire » et « dépression », comment faire la différence ?
Déconstruire quelques idées reçues et dangereuses
Pour trouver la réponse à cette question, on va comparer sa souffrance à celle des autres. L’auteur met en garde contre cette tentation souvent contre productive, chacun ayant « sa façon d’être, de penser », et « sa manière de souffrir ». Il appelle aussi à se méfier des « mirages des coachs autoproclamés du développement personnel », et à fuir « les applications d’autodiagnostic » qui se multiplient sur Internet et proposent des tests sans valeur. Des termes comme TDAH, HPI, hypersensible, autiste y « sont souvent expurgés de leur sens initial, jamais questionnés, et apparaissent comme la justification de certaines conduites (…) : ce ne sont plus des outils pour penser mais des étendards narcissiques ». Cette tendance n’est pas sans risque car elle retarde souvent la prise en charge d’une souffrance qui, prise à temps ne s’installerait pas, et par conséquent « augmente le risque d’aggravation ».
Et quand bien même la souffrance psychique ne relèverait pas d’une affection pathologique, ne doit-on pas la prendre en considération ? Car la souffrance, elle, elle est bien là. La minimiser, la relativiser, la distancier de toutes les façons possibles, sont autant de stratégies « compréhensibles », explique Samuel Dock. Mais, « rarement concluantes », elles aboutiront « surtout à épuiser les ressources dont vous disposez ». Il invite alors à « oublier les clichés : la plupart du temps une personne dépressive ne passe pas tout son temps à pleurer et arrive à peine à dire ce qui l’affecte ! », et contrairement à ce que l’on croit souvent, nommer un problème ne va pas le consolider, bien au contraire. Il est temps de changer de regard sur la santé mentale, et de s’autoriser à consulter, même si l’on n’a pas de certitude sur la nature et la gravité de son affection. S’occuper de sa santé mentale, comme on s’occupe de sa santé physique, ne doit plus être tabou.
L’Ecole face à la santé mentale ?
Et il y a urgence car les chiffes sont alarmants, notamment en ce qui concerne les plus jeunes : un enfant sur douze en maternelle est affecté par au moins un problème de santé mentale, 13 % des enfants de 6 à 11 ans présentent des troubles de santé mentale, 24 % des lycéen·nes déclarent avoir connu des pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois … Rappelons que le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans, et touche particulièrement les jeunes LGBT. Pour autant, bien que déclarée « enjeu majeur » de santé publique en septembre 2021, puis « Grande cause nationale » pour l’année 2025 en octobre 2024, la question de la santé mentale peine encore à être véritablement reconnue et investie d’une politique volontariste. Ainsi l’Ecole, dans ce domaine – comme dans tant d’autres – manque-t-elle cruellement de moyens : doit-on rappeler qu’en France un·e médecin·e scolaire a actuellement en charge 16 000 élèves ?
Mais si l’Ecole a un rôle essentiel à jouer dans la protection de la santé mentale des enfants et des adolescent·es, cette mission ne saurait reposer uniquement sur l’expertise des personnels sociaux et de santé. L’institution scolaire constitue en effet, en raison du temps – environ 40% – qu’y passent les élèves, un déterminant majeur de santé, qui contribue, ou pas, par un climat scolaire favorable, ou pas, à leur bien-être. De la prévention des situations de souffrance – y compris générées par l’Ecole elle-même – et des conduites additives, au repérage de la détresse psychologique, et à la mise en place du protocole santé mentale, l’institution scolaire est, dans l’entièreté de ses composantes, au cœur de ces enjeux.
Pour parvenir à remplir cette mission, comme l’ensemble de la société, l’Ecole doit, elle aussi, apprendre à changer son regard sur la santé mentale et la souffrance psychique, encore souvent objets de dénis, tabous et représentations réductrices. Pour cela elle a besoin de formation, donc de moyens. Si elle ne saurait évidemment pallier à elle seule ce manque, la lecture de ce court ouvrage, à partager avec les lycéen·nes, pourra toutefois efficacement contribuer à ce changement de regard, et fournir aux un·es et aux autres une boussole.
Claire Berest
Santé mentale, comment faire face ?, Samuel Dock. Editions La Martinière – Collection ALT.
« Santé mentale, l’enfance en danger ». A retrouver sur le site du Café pédagogique.
