« Faire de la radio à l’école, ce n’est pas seulement créer une émission. C’est donner la parole, apprendre à écouter, maîtriser le langage, s’ouvrir au monde, travailler en équipe et se construire en tant que citoyen.ne. C’est une pédagogie vivante, inclusive, motivante et profondément formatrice. Et surtout, c’est à la portée de toutes et tous ! » Enseignante en disponibilité pour mandat électoral, Hélène Paumier a professionnalisé depuis trois ans la pratique d’animation des ateliers d’écriture qu’elle faisait bénévolement depuis plus de vingt ans. C’est aussi dans ce cadre qu’elle continue d’accompagner des ateliers radiophoniques, parfois en milieu scolaire. Elle en parle au Café pédagogique !
Que ce soit en réalisant des émissions poétiques sur la voix des arbres avec des écoliers, des « talk show » sur l’affaire Dreyfus dans un collège avec une classe de 4e ou encore des podcasts de révision – associant points de grammaire, lecture de textes ou analyse- sur l’œuvre d’Olympe de Gouges, en classe de français au lycée, la webradio permet de travailler des compétences multiples avec des élèves de tous les âges. Retour sur trois de ces expériences récentes, de manière non chronologique !
Dans les écoles cotentines :
Faire de la radio dès le plus jeune âge, c’est possible. On peut même en faire avec les enfants dès la maternelle. Voici un exemple d’atelier avec des élèves, du CP au CM2.
Victor Dubin (technicien réalisateur avec qui je travaille régulièrement) et moi étions invités à travailler pendant deux jours et demi avec l’école de Lessay et un jour et demi avec l’école de Pirou, communes situées dans le Cotentin. Le projet se prépare en amont avec l’équipe éducative par visio, échanges de mails et document partagé.
A Lessay, le projet annuel de l’école est de travailler sur les métiers. Toute l’équipe est mobilisée depuis un moment sur ce thème et c’est elle qui passé cette commande : rendre compte de certains travaux réalisés en classe, imaginer d’autres productions à partir de petits ateliers d’écriture à mettre « en ondes ». Nous intervenons durant, ces deux jours et demi, deux fois 1h15 dans les classes de CP, CP/CE1, CM1 et CM2. Le premier temps est un temps de préparation à l’enregistrement. Les élèves travaillent par groupe de 4 ou 5 : c’est un temps de structuration, de prises de son, d’écriture. Nous en profitons aussi pour leur présenter le studio (les micros, les casques, la console, l’ordinateur), installé dans la bibliothèque et pour déjà les faire tous et toutes passer au micro/casque pour l’enregistrement de leurs prénoms, enregistrement qui nous servira pour chaque émission de générique de fin. Lors du deuxième temps, c’est l’enregistrement de chacun des groupes.
– Au programme en CP/CE1 : lecture de brefs poèmes sur les métiers à plusieurs voix, interview de mères d’élèves sur leur métier, jeu radiophonique de devinettes etc.
– En CM1 et CM2 : Les faux métiers, micro-trottoirs dans l’école pour interviewer les adultes sur leur profession (à la cantine, la directrice, une plasticienne présente en maternelle), présentation de l’artiste Banksi, réécriture d’une chanson de maître Gims sur le métier de vétérinaire etc.
En ce qui concerne les élèves de l’école de Pirou, ils ont participé quelques semaines auparavant à des ateliers d’écriture animés par Benoît Richter, poète contemporain, sur le thème de la voix des arbres. Nous avons moins de temps mais les productions ont déjà eu lieu en amont. Nous procédons de la même manière en deux temps : préparation de l’émission, présentation du studio radio et enregistrement des prénoms. Cette fois – en raison du temps réduit- c’est un adulte (moi ou un.e enseignant.e) qui prendra le micro et distribuera la parole aux enfants.
Dans les deux écoles, tous les enfants et les enseignants sont passés à la radio, ont connu cette expérience d’anticipation, de préparation, de rencontre avec les autres, et celle, unique, du « direct » quand on entend sa voix différemment, quand on parle les un.es après les autres, quand on s’écoute !
C’est Victor et moi-même qui assurons par la suite les derushages, le montage, l’habillage, le mixage et la mise en ligne. Nous publions alors sur les audioblogs d’arte radio ce qui permettra aux classes de réaliser des séances d’écoute et de partager avec les familles. Nous ferons aussi une restitution publique le samedi après-midi sur la place du village.
L’affaire Dreyfus au collège de Chauvigny (Vienne 86)
A la demande d’une ancienne collègue, Nicoleta Nastase, je me rends cette fois seule dans une classe de 4e qui a travaillé les semaines précédentes sur l’affaire Dreyfus et son traitement dans la presse. La commande est à nouveau de faire faire de la radio à tous les élèves. Le collège dispose d’un petit studio de radio installé dans le CDI. J’interviendrai 3 fois durant 2 heures.
A ma demande, Nicoleta a déjà constitué les groupes et réparti les sujets. Nous avons travaillé en amont via téléphone et document partagé. La première intervention se déroule sur deux heures : présentation du projet et un bref « cours magistral » sur les spécificités de l’écriture radiophonique : différences entre la communication orale et écrite, les principes syntaxiques (phrases brèves, répétitions régulières de l’information importante…), écrire lisiblement pour se relire aisément, numéroter ses feuilles etc.
Ensuite, les élèves se mettent par groupe et préparent leur émission. Le même format est choisi pour tous les groupes : une émission de 3 à 5 minutes avec un.e animateurice et des invité.es. Ce qui amuse beaucoup les élèves c’est de pouvoir incarner des personnages fictifs : Clémenceau, Zola, une historienne de la Sorbonne, un dreyfusard, un anti-dreyfusard etc. L’écriture démarre tout doucement.
Quelques jours après, je reviens pour poursuivre le travail entamé et nous pouvons même commencer certains enregistrements. Les élèves assurent eux-mêmes la régie tout à tour. La dernière séance de deux heures nous permet de finaliser les enregistrements et de faire un retour d’expérience sous forme écrite.
La déclaration universelle des droits de la femme au lycée du Bois d’amour (Poitiers 86)
Trois enseignant.es de lettres me sollicitent pour intervenir 2 heures dans chacun de leur cours. Les classes sont des 1ère STMG et travaillent toutes à ce moment-là de l’année sur l’œuvre au programme d’Olympe de Gouge La Déclaration Universelle des droits de la femme.
Nous leur proposons d’enregistrer des podcasts qui serviront comme « matériau » de révisions pour l’examen de français à la fin de l’année. Les thèmes sont variés : lectures de textes étudiés en lecture linéaire (exercice présenté à l’oral du bac), des questions de grammaire, la vie d’Olympe de Gouges, une présentation de l’œuvre ou du mouvement des Lumières etc. Je leur propose une liste possible mais les élèves peuvent tout à fait proposer leurs idées.
Comme je ne suis intervenue que deux heures pour chaque classe, je n’ai pas suivi la phase d’enregistrements (le lycée dispose d’une radio et un animateur culturel se chargera de cette étape). Là encore donc, nous avons travaillé sur les genres radiophoniques, l’écriture, la structuration d’une émission à l’aide d’un conducteur, sur le contenu bien entendu à partir de leurs cours… bref tout ce qui constitue la préparation nécessaire à un enregistrement radiophonique.
Une expérience pédagogique vivante, créative et accessible
Les ateliers d’écriture radiophonique offrent une expérience unique et enrichissante pour les jeunes comme pour les adultes. Petit retour sur ces expériences pour mettre en lumière la richesse et la complexité de cette pratique, où se croisent de nombreuses compétences.
Ce qui frappe d’abord, c’est la multiplicité des savoir-faire mobilisés. Participer à un atelier de création radiophonique, c’est s’immerger dans un travail à la fois créatif, technique et intellectuel. Contrairement à l’écriture classique, la langue y est abordée autrement : moins formelle, plus orale, plus proche de l’auditeurice. Cette dimension sonore transforme notre rapport à l’expression, en mettant l’accent sur le rythme, l’intonation, la clarté.
Mais derrière cette apparente légèreté, la préparation d’une émission exige une rigueur méthodologique importante. Il faut commencer par organiser ses idées, structurer son propos, rédiger des textes adaptés à l’oral. Et lorsque les sujets abordés touchent à l’Histoire – comme ce fut le cas avec des figures comme Olympe de Gouges ou Dreyfus – il faut aller vérifier dans son cours, sur internet : l’information ne peut pas être approximative ou erronée.
La radio à tout âge : une pédagogie transversale
À travers trois expériences variées, un constat s’impose : on peut faire de la radio à tout âge. Même avec de très jeunes enfants en crèche ou en maternelle, des projets ont vu le jour, je ne les ai pas racontés ici. Ces premiers contacts avec le son et l’enregistrement permettent de développer des compétences fondamentales comme l’écoute active, trop peu travaillée dans les parcours scolaires traditionnels.
Avec des élèves plus âgés, du CP à la terminale, la radio permet de mobiliser un large éventail de compétences : construction de la pensée, structuration d’un discours, rédaction de textes pour l’oral, avec une attention particulière à la clarté, à la concision, au rythme. Les élèves apprennent à parler pour ne pas perdre l’attention de l’auditeurice, à adapter leur syntaxe, à prendre en compte leurs destinataires.
Une parole tournée vers l’autre mais aussi « vers soi-même »
En effet, faire de la radio, c’est avant tout écrire et parler pour quelqu’un d’autre. C’est s’adresser à un auditoire, ce qui donne une dimension profondément authentique à la parole. Lors du direct, il faut se concentrer, maîtriser son trac, mais surtout écouter : écouter l’autre, écouter les silences, écouter les réactions. Et cette compétence, souvent négligée, devrait être reconnue comme une compétence psychosociale essentielle : dans un monde saturé d’informations et de bruit, savoir écouter, c’est aussi s’ouvrir à l’autre, faire preuve d’attention, de respect et de curiosité. C’est un pilier du vivre-ensemble.
Et j’en viens à ce point, peut-être le plus délicat, le plus profond : la dimension intime de la radio. Il y a là quelque chose de presque troublant – cette manière qu’a le son, lorsqu’il revient à nos oreilles par le casque, de nous renvoyer à nous-mêmes, dans une proximité que peu d’expériences égalent. Parler dans un micro, c’est tendre vers soi une oreille neuve, c’est s’écouter à travers le regard du monde, s’entendre tel que l’extérieur nous entend. J’en suis venue à croire que c’est, d’une certaine manière, plus intime encore que de se laisser prendre en photo.
C’est pourquoi j’invite à la prudence, à la délicatesse surtout, lorsqu’on introduit des enfants ou des adolescents à la pratique radiophonique. Il faut être d’autant plus attentif avec les garçons, à l’âge où leur voix vacille et se transforme. Car l’émotion est là, vive : entre excitation, fierté, et une forme de crainte, de vertige. Ce n’est pas rien, ce moment où l’on entend pour la première fois sa propre voix devenir étrangère. On le voit à leurs joues qui rougissent, leurs yeux qui pétillent… autant d’expressions systématiques qui disent leur surprise. Il faut alors faire preuve de bienveillance et surtout ne jamais les forcer. Il s’agit bien d’une rencontre – parfois bouleversante – avec soi-même.
De l’écriture à la diffusion : un apprentissage complet
Vient ensuite l’étape plus technique du dérushage et du montage : ranger, nommer des fichiers, réécouter, ajuster, couper. Puis celle du mixage, de l’ajout de bruitages, de musiques, et enfin de la publication. Ces étapes confrontent les élèves à des questions d’éthique, de droits d’auteur, de responsabilité éditoriale. Ils développent ainsi un regard critique sur leurs productions et sur les contenus médiatiques en général.
Enfin, la « boucle se boucle » lorsque l’émission est diffusée. Les familles écoutent, les camarades réagissent, la parole circule. À l’heure du numérique et des réseaux, cette diffusion élargie donne tout son sens à l’expérience : on sort du cadre scolaire, on donne une voix aux élèves, on crée du lien.
Une pédagogie active, accessible à tous
La richesse de la radio réside aussi dans la simplicité de sa mise en œuvre. Avec quelques centaines d’euros, il est possible de monter un petit studio mobile : une console, quatre micros, quatre casques… et c’est parti ! À Chauvigny, des élèves de 4e utilisaient eux-mêmes ce matériel avec aisance. Il suffit de dédier un coin de classe, d’avoir une petite salle de rédaction à proximité pour préparer, répéter, affiner. Même en CP, les élèves trépignaient pour lancer eux-mêmes le jingle ou le générique, ce que Victor leur accordait bien sûr ! Pourquoi alors faire appel à des intervenants professionnels ? C’est pour l’effet tremplin tout simplement ! On apporte notre expérience, notre expertise, on initie aux genres radiophoniques, et on accompagne l’écriture et l’apprentissage technique. Cela peut rassurer les enseignant.es et aider à lancer une dynamique pérenne.
Des financements possibles, des modèles variés
La question du financement des interventions professionnelles se pose naturellement. Plusieurs modèles existent, comme en témoignent les expériences vécues : dans le Cotentin, c’est l’association Pirouésie, organisatrice d’un festival estival, Pirouésie, qui a financé l’atelier dans le cadre de ses actions culturelles annuelles soutenues par les collectivités. Au collège de Chauvigny, l’intervention a été soutenue par l’Inspé, dans le cadre d’un projet de recherche et de formation sur la ludification des savoirs. Enfin, au lycée du Bois d’Amour, c’est le Pass Culture qui a permis la rémunération (pas sûre hélas que ce soit possible dans l’avenir…).
Un tout petit mot en guise de conclusion :
Faire de la radio à l’école, ce n’est pas seulement créer une émission. C’est donner la parole, apprendre à écouter, maîtriser le langage, s’ouvrir au monde, travailler en équipe et se construire en tant que citoyen.ne. C’est une pédagogie vivante, inclusive, motivante et profondément formatrice. Et surtout, c’est à la portée de toutes et tous !
Hélène Paumier
