Des politiques « démunis » face au meurtre de Nogent ? C’est l’interrogation de Jean-Pierre Véran, membre du CICUR et du laboratoire Bonheurs, qui relève dans ce billet que « s’il y a diversité des approches dans le monde politique, on observe toutefois un silence partagé sur un levier possible de transformation ». La preuve ? « la ministre reprend à son compte une proposition défendue à gauche, qui consiste à se préoccuper de la santé mentale des jeunes, ce qui signifie, pour la gauche comme pour les syndicats, la nécessité d’en finir avec une sous-dotation extrême en personnels de santé, psychologues scolaires et assistants sociaux. »
« Démunis » face à des actes de violence meurtriers
On appréciera qu’après la mort d’une assistante d’éducation sous les coups de couteau d’un collégien, les responsables politiques aient pu avoir un débat digne et s’accorder sur une minute de silence nationale dans tous les établissements scolaires en hommage à une assistante d’éducation, personnel essentiel à la qualité du climat scolaire dont on néglige trop souvent le rôle éducatif au quotidien. Mais les uns comme les autres semblent, selon le titre du journal Le Monde daté de jeudi, « démunis » face à des actes de violence meurtriers.
On ne s’étonne pas de voir, du côté droit de l’hémicycle, renouveler les propositions pour plus d’autorité, plus de contrôle, notamment avec les fameux portiques de sécurité mis en place dans les lycées de sa région par M. Wauquiez, ou les fouilles de sacs prévues par la récente circulaire Borne-Retailleau qui a été, cruelle ironie, un élément du contexte du meurtre de Nogent. Bien entendu, il s’agit aussi, de ce même côté, d’accuser la démission parentale, terreau fertile pour envoyer à l’école des enfants dangereux faute d’éducation familiale stricte.
Une sous-dotation extrême en personnels de santé, psychologues scolaires et assistants sociaux
La ministre reprend à son compte une proposition défendue à gauche, qui consiste à se préoccuper de la santé mentale des jeunes, ce qui signifie, pour la gauche comme pour les syndicats, la nécessité d’en finir avec une sous-dotation extrême en personnels de santé, psychologues scolaires et assistants sociaux. La ministre déclare également vouloir limiter l’usage des écrans et des réseaux sociaux.
S’il y a diversité des approches dans le monde politique, on observe toutefois un silence partagé sur un levier possible de transformation. Personne n’évoque de quoi est composée l’expérience scolaire des élèves : ajouter à la tyrannie des notes et des classements, des contrôles et des orientations contraintes, les fouilles des sacs et les portiques de sécurité, il n’est pas sûr que cela renforce le bien-être à l’école, mais il plus probable que cela donne le sentiment que l’école n’est pas un lieu d’accueil et d’émancipation, mais un espace de contrôle où l’élève est a priori suspect. Ne faudrait-il pas se demander quelle est l’expérience que font les élèves dans leur vie à l’école ?
Favoriser leur prise de distance critique par rapport aux réseaux sociaux comme par rapport aux médias
Mettre l’accent sur le coopération entre élèves comme entre professeurs, plutôt que sur la compétition individuelle pour les meilleures notes et places ; privilégier l’émancipation en donnant aux élèves la capacité de pouvoir agir sur la vie dans leur école, collège ou lycée, mais aussi dans leur territoire en accompagnant leurs initiatives pour s’engager dans la vie de la cité comme sur les grandes questions posées à notre siècle ; favoriser leur prise de distance critique par rapport aux réseaux sociaux comme par rapport aux médias, cultiver leur culture de l’information en faisant d’eux des producteurs d’informations vérifiées, les entraîner à porter un regard critique sur les enseignements scolaires et leur tradition dogmatique, cela ne serait-il pas une bonne façon de changer la relation des élèves aux savoirs scolaires, à leurs pairs comme aux personnels qui les encadrent ?
Ne serait-il pas temps, plutôt que de parler d’un prétendu « choc des savoirs » et de le mettre en œuvre avec des mesures qui séparent et hiérarchisent les élèves comme les savoirs, de promouvoir un savoir-relation[1], qui s’intéresse aux relations de chacune et chacun avec les savoirs, qui tisse des liens entre les savoirs scolaires et non scolaires, qui fait de la relation de soi à soi, aux autres et à l’ensemble du vivant un axe de formation essentiel ?
Cette révolution curriculaire[2] aurait sans doute un effet profond sur la relation des jeunes et de leurs parents à l’École, permettant de rompre avec ce qui nourrit une forme de désaffiliation scolaire et sociale qu’on ne combattra pas efficacement à coup de fouilles et de portiques.
Jean-Pierre Véran
[1] https://bonheurs.cyu.fr/fil-dactualite/le-savoir-relation
[2] https://curriculum.hypotheses.org/
Drame à Nogent : Une assistante d’éducation tuée par un élève de 14 ans
