« L’ancrage dans le présent constitue une formidable porte d’entrée vers les notions du programme et un moyen d’engager activement les élèves au sein même des activités » pour Corentin Huneau. Ce professeur d’histoire-géographie et d’HGGSP au lycée Léonard de Vinci de Melun livre quelques éléments de réflexion et exemples de travail sur l’actualité. Pour lui, « cette démarche [qui] ne s’arrête pas aux murs de la salle de classe, mais vise à former des citoyens capables de penser, d’agir et d’interagir dans un monde globalisé et complexe ».
Celles et ceux qui ont fréquenté les bancs des INSPÉ ces dernières années se souviennent à quel point le lien entre l’histoire-géographie et l’actualité est devenu un véritable leitmotiv pédagogique. À travers la fameuse « accroche » censée ouvrir un chapitre, l’élève doit être capable d’établir facilement un lien entre un élément familier ou sensible et le savoir disciplinaire que l’on s’apprête aborder. Par exemple, une photographie d’Emmanuel Macron prononçant un discours nocturne devant les ruines éclairées de l’Acropole permet d’illustrer très concrètement les notions de « berceau de la démocratie » et d’« héritage civique » qui doivent être assimilées dans un chapitre d’histoire ancienne.
Donner du sens aux savoirs
Chacun le sait, ou en prend peu à peu la mesure : le plus difficile dans cette matière est de faire percevoir aux élèves l’épaisseur du temps et de l’espace, leur consistance sociale et politique. Toute notre énergie d’enseignant ne tend-elle pas vers cet objectif ? Donner du sens aux savoirs ne consiste pas simplement à vulgariser ou à transformer les programmes dans une perspective élitiste. C’est axer sa pédagogie sur une finalité centrale et concrète : former des citoyens capables de prendre du recul face à un monde globalisé en mutation, traversé de crises, où le repli sur soi devient chaque jour plus tentant. « Être utile aux élèves », pour reprendre le mot de l’un de mes collègues.
Pour atteindre cet objectif, l’action pédagogique dispose de multiples outils, et l’histoire-géographie ainsi que l’HGGSP en sont des dépositaires privilégiés. Susciter la curiosité et l’engagement – deux postures essentielles à un apprentissage actif – passe par un recours fréquent à l’actualité. L’introduction de l’enseignement de spécialité HGGSP, a renforcé cette dynamique, en invitant les élèves à percevoir l’histoire, la géographie, la géopolitique et les sciences politiques comme des disciplines complémentaires, capables d’éclairer ensemble les enjeux contemporains à la lumière des faits passés.
« Acquérir des clefs de compréhension du monde contemporain »
En classe de Première, l’intitulé du programme annuel, « Acquérir des clefs de compréhension du monde contemporain », met clairement en avant une finalité tournée vers l’analyse critique du présent. Chaque thème s’ouvre d’ailleurs sur une introduction au temps présent, insistant sur la nécessité de caractériser les notions et concepts que les élèves seront amenés à réemployer. Ce cadre pédagogique met l’accent sur la pertinence d’une approche contextualisée, qui relie les événements actuels aux grands enjeux historiques et géopolitiques.
« S’informer »
Parmi les capacités appelées à être mises en œuvre en classe d’HGGSP, plusieurs tendent à former l’apprenant à devenir progressivement autonome dans sa réflexion sur le monde qui l’entoure. Le lien avec l’éducation aux médias et à l’information (EMI) est essentiel et résonne directement avec l’un des thèmes au programme de la classe de Première : « S’informer ».
Cependant, la principale difficulté pour nos élèves réside moins dans l’accès à l’information, désormais presque illimité, que dans sa hiérarchisation et son analyse critique. La distinction entre source et média s’est progressivement estompée, générant désormais une confusion dommageable.
Ancrage dans le présent et engagement des élèves
Face à cette réalité, il serait contre-productif d’exiger de leur part qu’ils adoptent immédiatement, et de manière intuitive, notre propre grille de lecture de l’information. Cela reviendrait à ignorer leur quotidien numérique, leurs biais cognitifs et les modes de consommation médiatique qui les influencent. Pour autant, ce constat ne doit pas dévaluer le recours à l’actualité comme levier pédagogique majeur. Bien au contraire : cet ancrage dans le présent peut constituer une formidable porte d’entrée vers les notions du programme et un moyen d’engager activement les élèves au sein même des activités.
Il est évident que cette démarche exige de l’enseignant une veille constante sur l’actualité internationale et une capacité à la rapprocher des programmes officiels par une gymnastique intellectuelle quotidienne.
Toutefois, les opportunités de créer des passerelles entre ces deux dimensions ne manquent pas. De mon expérience, cette relation d’immédiateté avec l’actualité s’avère essentielle pour captiver les élèves et nourrir leurs apprentissages. Abreuvés de vidéos courtes véhiculant des messages simplifiés et souvent mal développés, nos élèves ont accès, en quelques secondes seulement, à une avalanche d’informations dont la quantité semble inversement proportionnelle à la qualité.
Un exemple frappant m’a été donné lors d’une revue de presse hebdomadaire en EMC avec mes élèves de Seconde : sur quinze participants, un seul avait entendu parler de l’élection du pape Léon XIV, un événement pourtant marquant sur la scène internationale. En revanche, près de la moitié avaient connaissance d’une altercation filmée à un arrêt de bus en Île-de-France, largement relayée sur les réseaux sociaux l’avant-veille. Ce constat est éloquent : nos élèves évoluent sous l’empire du fait divers, alimenté par des algorithmes puissants qui orientent leur attention et dont ils sont devenus les victimes involontaires.
Comme tout apprentissage, celui de la lecture critique de l’actualité se construit sur le temps long. Il nécessite rigueur et régularité dans son traitement. De la même manière que nous ancrons nos enseignements dans des routines pédagogiques pour mieux fixer les connaissances, il est indispensable de systématiser les liens avec l’actualité afin que nos cours ne perdent pas leur pertinence aux yeux des élèves.
Trois approches complémentaires peuvent être envisagées. La première consiste à utiliser l’actualité comme un « fait d’accroche ». Ce procédé présente l’avantage indéniable de captiver rapidement l’attention des élèves et d’initier une réflexion en lien direct avec le présent. Cependant, il comporte un risque : celui de réduire l’événement à son aspect sensationnel ou de simplifier à l’excès sa portée pour servir un objectif pédagogique précis (il devient, simplement « accrocheur »). Dans ce cas, l’élève reste un spectateur passif, recevant une version déjà interprétée et fragmentaire de l’actualité, sans véritable implication dans son analyse autrement que par un dialogue guidé par l’enseignant pour parvenir à son but.
L’actualité comme un véritable objet d’étude
La deuxième approche, plus ambitieuse, consiste à considérer l’actualité comme un véritable objet d’étude. Ici, les élèves sont invités à décoder les enjeux sous-jacents et à établir des liens avec les savoirs disciplinaires. En HGGSP, cette méthode s’avère particulièrement efficace, car les thèmes du programme s’inscrivent dans des problématiques contemporaines.
Les zones économiques exclusives, par exemple, permettent d’aborder des conflits géopolitiques actuels, comme ceux en mer de Chine méridionale ou dans l’Arctique. Ces situations offrent une richesse d’analyse multiscalaire, mobilisant des notions de rivalités territoriales, d’enjeux climatiques et de stratégies géopolitiques globales. Elles offrent l’occasion d’explorer les tensions entre la Chine et ses voisins d’Asie du Sud-Est, notamment le Vietnam et les Philippines, tout en permettant d’aborder le projet impérialiste de « reconquête » de Taïwan porté par Xi Jinping. Un projet qui s’inscrit pleinement dans la rhétorique de puissance chinoise visant à affirmer son influence face à la superpuissance étasunienne.
Elles offrent également l’opportunité d’analyser les tensions grandissantes dans l’Arctique, où la fonte accélérée des glaces sous l’effet du réchauffement climatique ouvre de nouvelles routes commerciales et attise les ambitions géostratégiques des grandes puissances. Les propos controversés de Donald Trump sur le Groenland, qui ont suscité de vives réactions au sein de la communauté internationale, notamment parmi les alliés de l’OTAN, permettent de relier ces enjeux territoriaux à des problématiques plus larges, telles que le multilatéralisme dans les relations internationales.
Etude systématique de l’actualité
Enfin, la troisième possibilité repose sur une étude systématique de l’actualité, comme dans le cadre d’une revue de presse. Ce format favorise une réflexion critique sur l’information elle-même : son orientation, son traitement et les biais des médias. L’expérience que j’ai menée cette année avec mes élèves en est une illustration. Organisée sous forme hebdomadaire et orale, cette revue de presse assignait à des binômes la présentation concise d’actualités internationales, françaises ou issues de zones géographiques en tension. En imposant un temps limité et la citation de deux sources distinctes, l’exercice a permis d’entraîner les élèves à synthétiser des informations tout en développant leur esprit critique. Ce type d’activité, par sa régularité et sa variété, enrichit leur réflexion et encourage la mobilisation de références pertinentes et originales dans leurs productions écrites.
Pour conclure, il est donc crucial de replacer cette réflexion sur l’usage de l’actualité dans le cadre plus large de notre enseignement. Elle constitue certes une porte d’entrée captivante et stimulante, un levier puissant pour éveiller la curiosité et l’engagement des élèves. Cependant, elle ne saurait devenir une finalité en soi. Sa valeur réside précisément dans sa capacité à ouvrir des horizons, à susciter des questionnements, et à enrichir les savoirs.
À nous, enseignants, d’en faire un outil parmi d’autres pour cultiver leur rapport au monde et nourrir leur regard critique sur une réalité en constante mutation. Cette démarche ne s’arrête pas aux murs de la salle de classe, mais vise à former des citoyens capables de penser, d’agir et d’interagir dans un monde globalisé et complexe.
Corentin Huneau
