Groupe : une mise en œuvre confuse et inégale
Rendu public pile la semaine du BAC… Daté de mai 2025, ce rapport de l’Inspection générale sur la mise en place des groupes de besoins en mathématiques et en français pilonne la réforme voulue par Gabriel Attal.
La réalité observée par les inspecteurs dans 39 collèges de 9 académies révèle une réforme mal préparée, précipitée et inefficace pour les collégiens.
Dans son rapport publié le 17 juin 2025, la mission souligne une très grande tension organisationnelle et hétérogénéité dans l’application de la réforme : certains établissements ont mis en place des groupes de niveaux malgré l’intention affichée de travailler sur des besoins pédagogiques réels.
La confusion sémantique autour des termes (« groupes de niveaux », « groupes de besoins », « groupes ») a ajouté au flou, tout comme les injonctions contradictoires entre uniformité nationale et autonomie et souplesse locale. La constitution des groupes a été largement figée tout au long de l’année.
Les élèves de 11 ans ont donc été séparés par niveaux scolaires, rejoignant a priori un milieu social. A noter que le rapport ne mentionne pas la question des IPS ou milieux sociaux des élèves qui constituent les groupes, c’était une réserve majeure pour les opposants à la réforme qui dénoncent le tri social et scolaire de la mesure.
« L’écart entre les intentions affichées et les réalités observées est important. » Le vocabulaire changeant – « groupes de niveaux », puis « groupes de besoins », puis simplement « groupes » – a semé la confusion dans les équipes et nourri une défiance durable.
Le rapport déplore un calendrier d’application beaucoup trop serré, qui a poussé les équipes à privilégier des solutions simples, au détriment d’une vraie réflexion pédagogique. « La diversité des modalités de mise en œuvre témoigne d’un manque de clarté. »
Une réforme à destination des élèves fragiles mais sans effet pour eux !
Que dit le rapport sur les effets sur les élèves ? « Les effets s’avèrent contrastés en ce qui concerne les élèves « à faibles besoins » ou « à besoins modérés », en revanche les élèves les plus fragiles, « à forts besoins », n’ont clairement pas bénéficié des avancées attendues de la mesure. »
L’un des constats les plus inquiétants du rapport est que les élèves dits « à forts besoins » – censés être les premiers bénéficiaires de la mesure – n’en ont retiré que très peu d’avantages. Si les effectifs réduits dans les groupes sont unanimement salués, peu de pratiques ont été véritablement différenciées ou adaptées à ce public. Les premières victimes de cet échec sont les élèves les plus fragiles, ceux qui, en somme ont le plus besoin d’école.
L’absence de formation pointée du doigt par l’IGESR
« Enseigner face à un groupe d’élèves en grande difficulté requiert une expertise professionnelle importante » relève le rapport. Or, la formation des enseignants a été quasi inexistante. Nombre d’entre eux se sont retrouvés démunis pour identifier avec précision les besoins de leurs élèves, ou pour proposer des stratégies pédagogiques efficaces.
Le rapport souligne avoir « rencontré beaucoup d’enseignants bienveillants mais didactiquement en difficulté pour poser un diagnostic fin sur la difficulté scolaire et, par conséquent, pour la prendre en charge de manière efficace ». Il souligne que « les dynamiques d’apprentissages, particulièrement complexes dans les groupes d’élèves « faibles », restent bien souvent sans autre réponse qu’une très grande énergie déployée de la part des enseignants pour individualiser consignes et conseils. Beaucoup disent se sentir épuisés au sortir des séances réalisées dans ce type de groupes ».
Certains finissent même par douter de leur capacité à faire progresser tous les élèves : « devant la difficulté avec les groupes faibles, des enseignants expriment ne plus croire en l’éducabilité de tous » déplorent les auteurs de la mission.
C’est là un double échec pour l’institution qui échoue à faire réussir ses élèves comme ses enseignants, ce qui est une souffrance partagée dans l’Ecole aujourd’hui.
Une réforme imposée, mal accompagnée, sans moyens ni ressources
« Le temps consacré aux aspects organisationnels a longtemps prévalu sur le travail pédagogique » résument les auteurs de la mission.
Ce que révèle ou plutôt confirme surtout le rapport, c’est une réforme imposée dans l’urgence, sans concertation réelle ni accompagnement suffisant. L’essentiel de l’énergie a été absorbé par les contraintes d’organisation (emplois du temps, remplacement, gestion des absences…), au détriment des contenus et des pratiques.
Le manque de clarté sur les objectifs de la mesure, conjugué à une gouvernance technocratique, a abouti à un sentiment d’improvisation généralisée. Les équipes, désorientées, ont souvent dû bricoler des solutions dans l’urgence. « S’agissant des attendus pédagogiques de la mesure, de nombreux chefs d’établissement expriment le sentiment qu’en l’état actuel des moyens déployés et de la formation assortie des enseignants, ils restent dubitatifs quant à l’efficacité pédagogique de cette mesure » note la mission.
Des effets inquiétants sur la cohésion scolaire
Le bilan est lourd : une faible mobilité des élèves entre les groupes, un isolement progressif des élèves les plus fragiles, des pratiques pédagogiques peu renouvelées, et une dynamique de travail collectif largement freinée. Le rapport alerte sur un danger de fragmentation durable du collectif classe : « L’écart de compétences se creusant entre les groupes au fil de l’année, les professeurs ont progressivement renoncé au travail en commun. »
En fin d’année, certains enseignants évoquent même la difficulté, voire l’impossibilité, de recomposer des classes hétérogènes en 4e, tant les écarts se sont amplifiés, craignant « un risque fort d’accroître les écarts entre les élèves, une ‘dérive programmée des continents’. »
Les effets observés sont contre-productifs en termes d’effets pédagogiques, auxquels s’ajoutent la fatigue et l’usure des personnels face à des réformes successives. La mission souligne « l’impact très faible constaté sur les gestes professionnels des enseignants »
Une autonomie locale en guise de recommandation
« La mission recommande de revenir sur le caractère systématique de cette mesure pour tous les élèves de 6e et de 5e […], en redonnant de l’autonomie aux chefs d’établissement. » Face à cet échec, l’Inspection générale recommande d’abandonner le caractère systématique de la mesure pour tous les élèves de 6e et 5e, et de redonner une véritable autonomie aux établissements. Chaque collège devrait pouvoir définir, en lien avec ses équipes, une stratégie pédagogique adaptée, révisée chaque année en fonction des résultats des élèves. Il s’agit là d’un changement de paradigme notable de la politique éducative et de ses réformes centralisées et descendantes.
La mission préconise de placer les choix pédagogiques entre les mains des acteurs de terrain, plutôt que de les imposer depuis le sommet de l’appareil administratif. Une condition indispensable, selon le rapport, pour garantir l’adhésion, l’efficacité et la cohérence des actions menées.
Une réforme révélatrice d’un mal plus profond
Le rapport de l’Inspection générale confirme qu’il s’agit d’une réforme politique technocratique, pensée sans ancrage réel dans les pratiques pédagogiques ni prise en compte du terrain ou de la recherche. Loin de combler les écarts, elle pourrait contribuer à les creuser davantage, en isolant les élèves les plus en difficulté dans des groupes peu dynamiques et peu adaptés à leurs besoins.
Le seul point positif reconnu est la baisse des effectifs dans certains groupes, perçue favorablement par les enseignants, mais insuffisante à compenser les lacunes du dispositif.
Ce rapport rappelle enfin une vérité trop souvent négligée : sans accompagnement, sans stabilité, sans reconnaissance des réalités de terrain, aucune réforme éducative ne peut réussir.
Fallait-il une réforme pour arriver au constat que des effectifs réduits dans les classes améliorent les conditions d’enseignement et d’apprentissage ? ou que les effets de groupes homogènes ne sont pas bénéfiques ? Non. La recherche est unanime : les groupes de niveaux n’ont que très peu d’impact sur les performances scolaires. En revanche, leurs effets délétères sur la confiance en soi des élèves sont bien documentés – or cette dernière est un facteur clé, à la fois pour le bien-être à l’école et pour la réussite sur le long terme. Doit-on encore rappeler que la France détient un record des effectifs d’élèves par classe en Europe ?
Au-delà du cas des groupes de besoins, ce rapport rappelle une nécessité fondamentale : toute réforme éducative doit être pensée avec les enseignants, et non contre eux. La formation, le temps, les moyens, la clarté des objectifs et le respect des dynamiques locales sont autant de conditions de réussite.
Le constat est sans appel : « force est de constater que la mesure n’a que peu permis de faire émerger des solutions pour les élèves les plus fragiles ». Le danger des écarts qui se creusent et d’un séparatisme social et scolaire, sans faire mieux réussir les plus fragiles, c’est non seulement un constat d’échec mais un signal d’alarme.
Quand le temps et l’enjeu politique prennent le pas sur l’école, c’est au détriment de cette dernière … et des élèves les plus fragiles, souvent issus des classes populaires. L’école, les élèves et personnels sont les victimes de réformes successives imposées. Et ce n’est pas faute de résistances du côté de la communauté éducative rassemblée, personnels, syndicats, familles comme de chercheurs qui avaient lancé l’alerte contre cette mesure de tri des élèves et ses effets négatifs corrobiorés et démissionné du CSEN.
Djéhanne Gani
