« Contrairement à ce que fantasme une droite conservatrice qui a toujours refusé d’admettre qu’il y ait des lectures autres qu’autoritaires de ces violences, les rixes meurtrières, les agressions physiques, les harcèlements numériques sont autant de signaux qui doivent nous alerter de la présence d’un mal plus profond » écrit le député Rodrigo Arenas (NFP) dans cette tribune. Pour lui, la jeunesse traverse une crise, il préconise de commencer par l’Ecole : « parce qu’il faut commencer quelque part, et que c’est bien entendu à l’école de la République que se retrouvent les enfants ».
La litanie persistante de faits divers tragiques impliquant des jeunes ces dernières années est douloureuse. Pour les familles endeuillées, pour les vies gâchées, pour les communautés touchées, l’émotion est immense, et le questionnement intense. Mais cette jeunesse à couteaux tirés dont certains médias se sont fait les vautours gourmands ne doit pas nous aveugler. Contrairement à ce que fantasme une droite conservatrice qui a toujours refusé d’admettre qu’il y ait des lectures autres qu’autoritaires de ces violences, les rixes meurtrières, les agressions physiques, les harcèlement numériques sont autant de signaux qui doivent nous alerter de la présence d’un mal plus profond. Plus souterrain.
La jeunesse française traverse aujourd’hui une crise silencieuse, aiguë, existentielle, qui lui vrille le cœur et la travaille dans l’esprit et la chair. Une crise qui touche à l’intime, et qui interroge frontalement la capacité de notre République à protéger ses enfants. Dans les écoles, dans les quartiers, sur les réseaux sociaux comme dans les familles, les signaux d’alerte se multiplient : tensions violentes, explosion du mal-être psychique, accès à la santé entravé, sédentarité grandissante, anxiété sur l’avenir, angoisse sur le présent… Cette accumulation de vulnérabilités dessine une réalité inquiétante, dont les discours institutionnels peinent encore à prendre la mesure et l’urgence.
Violences sur et par mineurs
Premier lieu de socialisation, l’école est aussi le miroir des tensions qui traversent la société. Le harcèlement scolaire y demeure un fléau massif et persistant. Près d’un élève sur dix, soit environ 700000 jeunes chaque année, en est victime. Moqueries, humiliations, mise à l’écart, violences physiques ou psychologiques : les formes sont multiples et souvent banalisées. À cela s’ajoute le cyberharcèlement, qui déplace la violence hors des murs de l’établissement. En 2024, près de 20% des collégiens déclaraient avoir subi des attaques en ligne. Les réseaux sociaux accélèrent et démultiplient la portée des agressions, rendant impossible toute échappatoire. Les suicides induits par ces comportements restent heureusement à la marge des statistiques, mais ils augmentent, signalant un problème de santé et de sécurité publiques.
Mais l’école n’est pas seule concernée. Dans certains quartiers populaires, les tensions entre jeunes, les rixes, parfois mortelles, ou encore les phénomènes de bandes témoignent d’une insécurité intolérable pour les jeunes concernés et pour les résidents. Certes, la plupart de ces phénomènes n’ont rien de vraiment nouveau : les trafics criminels, les bandes violentes et la délinquance des mineurs ne datent pas des réseaux sociaux – mais, l’âge moyen des jeunes concernés s’abaisse de façon inquiétante.
Si ces violences restent très minoritaires, elles marquent cependant les esprits par leur brutalité et leur médiatisation. À cela s’ajoute une défiance profonde envers les institutions, notamment les forces de l’ordre, perçues comme agressives ou discriminantes par une partie de la jeunesse. Les contrôles d’identité répétés, les interpellations brutales, les violences policières réelles ou ressenties participent d’un sentiment d’injustice qui mine le lien social.
Enfin, les violences intrafamiliales touchent un nombre alarmant d’enfants et d’adolescents. Près de 160 000 mineurs vivent dans un foyer où des violences conjugales ont été signalées. Ces jeunes, souvent invisibles, développent des troubles affectifs durables, parfois irréversibles. Ils sont les premières victimes d’un silence collectif.
Santé mentale : crise silencieuse, souffrances massives
Derrière les portes fermées des chambres d’ados, dans les couloirs du collège ou du lycée, se joue une autre forme de détresse : celle de la santé mentale. Selon l’INSERM, près d’un tiers des adolescents présentent des signes de souffrance psychologique. Crises d’angoisse, troubles du comportement alimentaire, idées noires, automutilations : les formes d’expression du mal-être sont de plus en plus précoces et intenses. La pandémie de COVID-19 a agi comme un accélérateur, mais le mal est plus ancien.
La jeunesse d’aujourd’hui est confrontée à un double paradoxe : jamais elle n’a eu autant de moyens de « communiquer » – et jamais elle ne s’est sentie aussi isolée. Le sentiment d’inutilité, la peur de l’avenir, l’épuisement scolaire ou la pression sociale pèsent lourd. L’engagement collectif, les activités sportives, culturelles, ludiques, qui peuvent jouer un rôle d’équilibre, sont trop souvent absents du quotidien.
Face à cette crise, la prise de conscience de la puissance publique aura été tardive. Et les moyens publics sont dramatiquement insuffisants. Il y a en moyenne un psychologue scolaire pour 1 500 élèves, quand l’UNICEF recommande un ratio de 1 pour 500. L’accès à un pédopsychiatre peut prendre plus d’un an dans certaines régions. Les centres médico-psychologiques (CMP) sont débordés, les services de santé scolaire presque invisibles. Résultat : des milliers de jeunes restent seuls face à leur souffrance, et les enseignants eux-mêmes, en première ligne, n’ont ni la formation ni les ressources pour y répondre.
Une jeunesse fragilisée, une République interpellée
Ce tableau n’est pas une fatalité. Mais il exige une réponse à la hauteur du défi. Les violences que subissent les jeunes ne sont plus des « faits divers » : elles sont le symptôme d’un abandon progressif. Le mal-être n’est pas un problème individuel, il est collectif. Et la santé, qu’elle soit mentale ou physique, ne peut être laissée au marché ou à la débrouille.
Réinvestir dans la jeunesse, c’est aujourd’hui une urgence sociale, sanitaire, éducative, mais aussi démocratique. Car une République qui ne protège pas ses enfants est une République qui meurt.
Concentrons-nous sur l’Ecole
Parce qu’il faut commencer quelque part, et que c’est bien entendu à l’école de la République que se retrouvent les enfants. C’est là qu’ils passent une partie, parfois démesurée, de leur temps et que se forge leur force aussi bien que se révèlent leurs fragilités. C’est surtout le lieu où la puissance publique peut intervenir, en offrant aux plus jeunes et aux familles un cadre sécurisé et protecteur dans lequel les enfants peuvent se développer en confiance et s’épanouir. C’est aussi à partir de l’école que peuvent se décliner les autres interventions sur la santé, la socialisation, et le bien-être.
Mais ce n’est qu’un jalon. Il faut faire plus, mieux, plus vite et plus en profondeur. Il y a urgence. La santé de notre jeunesse est en jeu. Et avec elle, notre avenir à tous.
Pour un environnement sûr et sans violence au sein de l’Ecole
Face à la montée des violences au sein des établissements scolaires, un plan d’action global en trois temps est proposé : accompagner les élèves dès aujourd’hui, prévenir les violences dès demain, et repenser en profondeur l’École pour l’avenir.
Accompagner, dès maintenant, c’est maintenir un cadre pour les élèves non concernés par les examens, en assurant un encadrement éducatif jusqu’à la fin de l’année scolaire. C’est aussi permettre aux jeunes les plus précaires d’accéder à des vacances, des loisirs et des activités sportives gratuites, grâce à des budgets spécifiques, à l’ouverture des équipements municipaux, et à la gratuité progressive des transports estivaux.
Prévenir, dès demain, c’est instaurer des cercles de parole en classe, animés par des médiateurs formés, faire intervenir des associations spécialisées, et utiliser des formats audiovisuels adaptés aux jeunes pour sensibiliser efficacement. La lutte contre le harcèlement scolaire doit aussi être renforcée, avec des équipes formées, des espaces d’écoute, et des protocoles d’action rapides et adaptés.
Enfin, repenser l’École, c’est faire de la santé mentale des enfants une priorité nationale, en augmentant le nombre de psychologues scolaires. C’est aussi impliquer davantage les parents, sortir d’un système élitiste en valorisant l’entraide et les savoirs concrets, et renforcer les équipes éducatives dans les quartiers prioritaires. À cela s’ajoute le développement de réponses éducatives, plutôt que policières, en cas de conflit, et le soutien à l’engagement écologique et citoyen des jeunes.
Rodrigo Arenas
