« Contrairement à ce que l’on pense souvent, les violences extrêmes ne datent pas d’hier et elles ont pu être parfois le fait de jeunes élèves » écrit Claude Lelièvre. De 1757 à 2007, l’historien rappelle des faits et les circonstances de plusieurs affaires qualifiées souvent de faits divers. Meurtres d’enseignants ou rixe entre élèves, le regard porté par les médias des époques est aussi mis en perspective.
Contrairement à ce que l’on pense souvent, elles ne datent pas d’hier et elles ont pu être parfois le fait de jeunes élèves. Elles ont eu lieu dans des établissements scolaires fort différents, par des élèves d’origines diversifiées, selon des modes opératoires différenciés et pour des raisons multiples. Cela devrait être de nature à mettre en cause les explications et les solutions unilatérales qui font florès.
On en prendra pour preuve certaines des « bonnes feuilles » de l’ouvrage que j’ai écrit en collaboration avec le bâtonnier Francis Lec : Histoires vraies des violences à l’école paru chez Fayard en 2007.
Déjà en 18ème siècle
La première affaire mentionnée et dont la suite ne manquera pas de surprendre est une rixe mortelle en février 1757 entre deux élèves du collège de la ville de Quesnoy. Selon la lettre du subdélégué du Quesnoy à l’intendant du Hainaut, « Pasqual, le fils d’un greffier, âgé de dix-sept ans a été tué d’un coup de couteau porté par un fils de Ms de Lattre de Feignies âgé de treize ans ». Lettre adressée par l’intendant du Hainaut au comte de Saint-Florentin : « Il apparaît que la rixe survenue entre ces jeunes gens, n’a été occasionnée que par une cause des plus légères et qu’il n’en aurait rien résulté si ce dernier, sur un propos désobligeant que lui tint le Sr. De Lattre, ne l’eut frappé à la joue. Il est assez naturel de penser qu’un jeune homme de famille noble se soit cru tout permis pour se venger d’un affront qu’il a pu regarder comme une espèce de déshonneur, surtout venant de la part de quelqu’un d’une famille bourgeoise. Vu l’âge peu avancé du Sr. De Lattre, je pense que ce jeune homme pourrait être dans le cas d’éprouver la clémence de Sa Majesté et d’obtenir les lettres de rémission qu’il demande ». Il les aura…
L’année suivante, au collège de Bavay, Gilles Levent – un élève âgé de dix-sept ans – « devenu furieux par la nature de la peine du fouet à laquelle on voulait le soumettre, se servit d’un couteau qu’il tenait dans sa main et en frappa le supérieur ».
1970 : « Un élève tue un de ses professeurs au collège d’enseignement privé Saint-Marcel »
Longtemps les agressions très violentes, parfois mortelles, ont été traitées dans les médias comme de simples faits divers. On peut citer par exemple la fin des années 1970, alors même pourtant qu’une enquête d’ampleur était menée pour la première fois dans l’Education nationale à propos des violences à l’Ecole. « Un élève tue un de ses professeurs au collège d’enseignement privé Saint-Marcel » (« Le Monde », 24 février 1978). « Un collégien de 12 ans tue un camarade dans une bagarre à Aubervillers » (« Le Monde », 22 octobre 1979). « Un lycéen grenoblois de 17 ans blessé à coups de ciseaux en tentant de s’opposer à une tentative de racket » (« Le Monde », 20 novembre 1979).
On peut continuer ainsi le défilé des « faits divers » dramatiques et spectaculaires évoqués dans la presse. Par exemple, en juin 1979, un surveillant meurt à Metz, battu à mort par trois garçons voulant « venger » leur camarade puni. Ou encore, en mai 1983, le proviseur du lycée Jean-Bart à Grenoble est assassiné d’un coup de couteau par un élève qui n’admet pas son renvoi.
1980 : « Les violences » à l’école, un thème médiatisé
Il faut attendre le début des années 1990 pour que les « violences à l’Ecole » deviennent un thème en soi, récurrent et médiatisé. On peut certes citer encore quelques drames qui viennent sur la place publique. Un lycéen âgé de dix-huit ans, s’écroule dans un couloir du lycée technique de Châteauroux le 28 juin 1992 après une bagarre avec un autre élève de sa classe de première, qui est inculpé de « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort » (« Le Monde » 29 juin 1992). Dans la cour du lycée d’Alembert de Saint-Etienne, un lycéen de dix-neuf ans est blessé à mort par un couteau de chasse alors qu’il tentait de défendre l’un de ses camarades pris à partie par quelques jeunes (« Le Monde », 12 novembre 1992). A la sortie du lycée Amiral-Ronarc’h à Brest, un lycéen de 16 ans est tué d’un coup de feu à l’issue d’une dispute par un lycéen de 16 ans (« Le Monde », 21 septembre 1993).
On notera que l’usage des armes à feu est très rare en France, contrairement à d’autres pays où leur usage permet de véritables massacres dans des établissements scolaires (parfois récurrents, comme aux USA : un par semaine en moyenne durant l’année 2023…).
Il arrive aussi que la violence extrême se produise en quelque sorte par « inadvertance ». « Une collégienne de treize ans a été sérieusement blessée à l’arme blanche au moment de la sortie des cours du collège Paul-Eluard de Gauchy dans l’Aisne. L’auteur du coup de couteau a expliqué avoir agi par amusement. Faisant partie d’un groupe de collégiens, de même que sa victime, il aurait d’abord voulu effrayer les autres membres du groupe. Mais, à force de piquer la jeune fille au moyen de la pointe, il en serait venu à la blesser grièvement » (« Le Courrier picard », 21 janvier 2006).
Le monopole des garçons et de certains établissements ?
Les garçons n’ont pas le monopole des violences extrêmes qui accèdent au premier plan de la sphère médiatico-politique, car il arrive que des filles s’y illustrent, même si c’est plus rare encore. « Deux collégiennes de Besançon accusées d’avoir torturé l’une de leurs camarades ». La victime, âgée de 14 ans, fréquentait le même collège privé que l’une de ses deux tortionnaires. « Ses bourreaux sont mis en examen le 20 mars 2002 pour tentative d’homicide volontaire sur mineur de quinze ans, accompagnée d’actes de torture, de barbarie et de séquestration » (« Le Monde », 22 mars 2002).
Même si cela est rare, cela peut arriver n’importe où. On peut citer par exemple le quasi-drame de Beauvais, qui s’est passé dans un collège du centre-ville, « un établissement jusqu’alors réputé tout à fait tranquille » comme le note le journaliste de l’édition de l’Oise du « Parisien » du 18 octobre 2006. « Une élève de quatrième a été prise à partie le mardi 3 octobre par trois filles et un garçon. La jeune fille a reçu plusieurs coups ; et même, une fois à terre, un coup de pied dans la tête. L’élève est inconsciente. Les enseignants accourent et tentent de la ranimer. Ils décident finalement d’alerter les pompiers. Quinze jours après, la jeune fille n’a toujours pas repris les cours. Elle va bien, mais elle est encore sous le choc émotionnel ».
21è siècle, des personnels poignardés
Les agressions très violentes sont exceptionnelles même si elles sont de tout type. Les professeurs poignardés sont ceux qui frappent tout particulièrement les esprits. Quelques exemples dans les toutes premières années du XXIème siècle.
Le 27 janvier 2001, un professeur de musique du collège Paul-Eluard de Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise) est poignardé par un élève de cinquième. Les enseignants du collège cessent le travail pendant deux semaines. Ils réclament six surveillants, trois agents de sécurité et deux îlotiers. Le rectorat leur accorde un demi-poste de surveillant et la consolidation de deux contrats emploi-solidarité. Le jour de la reprise des cours, les enseignants demandent aux élèves de rédiger quelques mots sur l’événement afin de susciter un débat sur la violence. « Pour certains enseignants, la déception produite par la réponse du rectorat s’est alors doublée d’un réel écœurement, car, au lieu de réfléchir à la portée d’un tel acte, des élèves ont constitué une liste de professeurs qui, à leurs yeux, auraient davantage mérité d’être poignardé » (« Le Monde » du 10 février 2001).
Le 7 janvier 2003, une jeune fille de 16 ans blesse d’un coup de couteau son professeur de mathématiques en plein cours au lycée professionnel La Tournelle, à La Garenne Colombes (Hauts-de-Seine). « Mounia, élève de BEP, chahutait pendant la classe, ce qui lui a valu d’être rappelée à l’ordre par son professeur Cécile, 30 ans. L’élève lui a alors mal répondu. Son professeur lui a demandé son carnet de correspondance, que Mounia a dans un premier temps refusé de donner, puis qu’elle a finalement jeté par terre en déclarant à l’enseignante : “Vas-y, bouffe-le.” Le professeur a mis un mot d’exclusion dans le cahier, à la suite de quoi Mounia lui a donné un coup de poing dans le ventre, puis un coup de couteau dans la cuisse droite avant de prendre la fuite » (« Le Monde », 9 janvier 2003).
Le 16 décembre 2005, Karen Montet-Toutain, professeure d’arts plastiques, est poignardée en plein cours par un élève de 18 ans du lycée professionnel Louis-Blériot à Etampes (Essonne). « Lorsque je suis entrée dans la classe, Kalden m’a lancé un regard noir, un regard de tueur […] Il m’a interpellée : “Pourquoi avez-vous convoqué ma mère ?”. Il s’est levé et s’est approché. Je me suis avancée, car c’était un devoir de montrer mon autorité. Il m’a poignardée au niveau du nombril. Au début, je n’ai pas vu le sang ; puis j’ai vu son couteau et je me suis demandé si j’allais mourir. Il s’est retourné et a menacé la classe. Un élève s’est interposé et j’ai eu peur pour lui. Je me suis levée et il m’a redonné un coup de couteau à l’estomac. Lorsque j’étais à terre, il m’a poignardée à cinq reprises dans le bras » ( « Le Parisien », 11 janvier 2006).
Le 5 mars 2007, à Lyon, un professeur de français est poignardé par Javier, 16 ans, devant les autres élèves de sa classe de seconde. « Il voulait évoquer avec cet enseignant, également professeur principal de la classe, le compte rendu du conseil de classe préparant un avis défavorable à son passage en première. Une discussion que le professeur, âgé de 59 ans, a renvoyée à la fin du cours. L’élève, dont les parents sont arrivés à Lyon depuis Cuba il y a quelques mois, a profité de la distribution de polycopiés pour porter un coup de couteau – un petit laguiole rétractable qu’il avait sur lui – à l’abdomen de l’enseignant qui passait dans les rangs » (« Le Figaro », 6 mars 2007). Le professeur est hospitalisé dans un état sérieux, mais sans danger vital.
La presse écrite et audiovisuelle ne se fait pas faute de mentionner l’agression, mais d’une façon beaucoup plus limitée que pour l’affaire Montet-Toutain, qui s’était déroulée dans un lycée professionnel de la banlieue parisienne, objet de toute l’attention médiatique en matière de « violences scolaires ». C’est qu’il s’agit ici d’un établissement d’élite, la Cité scolaire internationale de Lyon, qui accueille pour l’essentiel des enfants de cadres étrangers expatriés, de hauts fonctionnaires d’Interpol ou du Centre international de recherche sur le cancer. Comme le souligne le dossier préparé par Charles de Saint-Sauveur, le journaliste spécialisé du « Parisien », qui est le seul à consacrer deux pages à l’événement, « c’est dans un établissement d’excellence, l’un des plus réputés et des plus recherchés de la ville, implanté au milieu du quartier d’affaires de Gerland, que ce scénario improbable s’est pourtant joué » (« Le Parisien », 6 mars 2007 ).
Claude Lelièvre
