« Affaire classée sans suite… mais pas pour nous » : déclare un collectif de parents d’élèves, soutenu par la Ligue des droits de l’homme (LDH) et la FCPE, au sujet des violences policières lors de mobilisations lycéennes. Ils dénoncent une répression violente, systématique et désormais banalisée des mobilisations lycéennes. Une saisine de la Défenseure des droits est sur le point d’être déposée. Si les affaires ont toutes été classées sans suite par la justice, les familles, la Ligue des droits de l’homme, Sud éducation, elles, n’entendent pas en rester là.
« Affaire classée sans suite… mais pas pour nous »
Le 6 juin 2024, devant le lycée Hélène Boucher à Paris, 48 lycéens ont été interpellés et placés en garde-à-vue alors qu’ils occupaient le lycée pour exprimer leur soutien à la cause palestinienne. Le lendemain, les gardes à vue des 48 élèves interpellés, dont une majorité de mineur·es sont classées sans suite. Mais le traumatisme est profond.
Les lycéens témoignent de violences physiques, d’armes braquées, d’insultes – parfois sexistes ou racistes –, de comportements humiliants…. « On ne peut pas normaliser cette violence », s’indigne une mère d’élève.
La Ligue des droits de l’homme (LDH) s’alarme d’un glissement préoccupant vers le musèlement des élèves alors que la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France, garantit la liberté d’expression et la primauté de l’éducatif sur le répressif. Cette même convention précise que toute décision doit être prise dans l’intérêt supérieur de l’enfant – des principes pourtant régulièrement bafoués. « Tous ces principes sont violés lorsque l’on décide que, parce que des élèves s’expriment, la réponse doit être policière » déclare Nathalie Téhio, présidente de la LDH.
La LDH, aux côtés de collectifs de parents, de familles, d’avocats, de la FCPE, de lycéens, a organisé une conférence de presse mercredi 18 juin et prépare aussi une saisine du Défenseur des droits. « Au-delà des faits qui se sont produits au lycée Hélène-Boucher, il faut voir qu’il y a une récurrence de cette répression. Et ce, non seulement sur certaines formes d’expression comme les blocus, mais plus largement sur toute tentative de prise de parole des élèves » poursuit la présidente de la LDH.
Une jeunesse réprimée au lieu d’être écoutée
Depuis deux ans, le collectif de parents recense plus d’une douzaine d’interventions policières musclées devant les lycées parisiens, notamment dans l’Est de la capitale. Matraques, gaz lacrymogène, unités spécialisées (BRAV-M, BAC, CSI), placements en garde à vue systématiques… Les jeunes interpellé·es sont relâché·es dans 99 % des cas sans poursuites.
Pour les familles, ce n’est « pas un incident isolé mais un processus répressif organisé », dans lequel le rectorat et la préfecture ont leur part de responsabilité. Elles s’interrogent sur la présence d’un commissaire principal lors de certaines interventions alimentant, pour elles, la thèse d’un pilotage institutionnel assumé.
« Une jeunesse qui se tient sage »
Le syndicat enseignant Sud Éducation dénonce l’escalade des violences policières à l’encontre de la jeunesse, qui s’inscrit dans un contexte politique où le répressif prend le pas sur l’éducatif. La récente proposition de loi Attal symbolise ce basculement avec la multiplication les dispositifs sécuritaires en contradiction avec les principes de la justice des mineurs ou de la pédagogie.
Le syndicat dénonce également que les personnels éducatifs qui tentent de jouer leur rôle – dialoguer, apaiser, encadrer l’expression – sont eux-mêmes visés par des enquêtes administratives : « C’est un engrenage : on empêche les éducateurs d’agir, et on fait intervenir la police à leur place. C’est une réponse purement répressive, contraire à tous les principes éducatifs. » Une double peine qui empêche la communauté éducative de jouer son rôle fondamental.
Les mobilisations lycéennes sont de plus en plus réprimées, et ce, sans que les abus ne soient sanctionnés, comme pour l’épisode marquant de Mantes-la-Jolie, en 2018, où des dizaines de lycéens avaient été mis à genoux, mains sur la tête, par des forces de l’ordre. Une image forte d’une « jeunesse qui se tient sage », selon les mots d’un policier, et qui reste emblématique d’un autoritarisme qui s’installe durablement.
Quel rôle jouent les directions des établissements dans une chaîne de répression ?
Le collectif pointe aussi du doigt le rôle ambigu de certains chefs d’établissement. Appels systématiques à la police, absence de dialogue, procédures disciplinaires en cascade : pour les parents et la FCPE, l’école n’est plus un lieu d’éducation mais devient alors « un maillon de l’appareil répressif » par le comportement de certaines directions.
La Ligue des droits de l’homme (LDH) s’inquiète aussi d’une « réponse exclusivement sécuritaire à des actions politiques lycéennes pacifiques », là où prévalaient auparavant la concertation et l’écoute. Elle rappelle que le Code de l’éducation garantit aux lycéens la liberté d’expression dans le respect du pluralisme et de la neutralité, et que la Convention internationale des droits de l’enfant doit primer.
Des conséquences graves sur les jeunes et la démocratie
À court terme, des élèves ont pu être blessé·es ou en état de choc. À long terme, des situations de décrochage scolaire, de changement d’établissement, et une perte de confiance dans l’école et les institutions a pu être constatée par les familles.
« On remplace l’éducation par la peur. On appelle la police au lieu d’écouter les élèves », s’alarme une représentante de la FCPE. Plutôt que d’utiliser les outils internes à l’Éducation nationale – comme les conseils de discipline en cas de débordement réel – de nombreux établissements font systématiquement appel à la police, même pour des actions symboliques comme la pose d’une banderole ou la demande d’une salle pour débattre. Cette externalisation de la réponse disciplinaire est particulièrement inquiétante : elle court-circuite le rôle des équipes éducatives et contribue à un climat de tension.
Pour la présidente de la LDH, « le proviseur n’est pas démuni. Il a les moyens d’agir : accorder une salle pour débattre devrait être automatique. C’est ce qu’on déplore : qu’il y ait de moins en moins d’espaces pour le débat à l’intérieur des établissements, alors même que les élèves sont de futurs citoyens et citoyennes. »
Des revendications claires : sanctuariser l’école comme lieu éducatif, écouter les jeunes
Face à cette dérive qu’ils jugent dangereuse pour la démocratie et pour la jeunesse, les collectifs de parents et les organisations associatives ou syndicales formulent plusieurs exigences pour mettre fin aux interventions violentes de la police dans les lycées, à commencer par l’interdiction de l’usage des LBD et de brigades spécialisées (BRAV-M, BAC) contre des jeunes. Ils demandent la protection du droit d’expression des lycéens, y compris lors de mobilisations spontanées et la clarification des responsabilités des chefs d’établissement.
Ils souhaitent également que le collectif soit reçu en audience conjointe avec le préfet de police et le recteur. « Il s’agit de comprendre comment l’Éducation nationale fonctionne de plus en plus en synergie avec la préfecture de police, les commissariats, et comment ce système verrouille toute tentative d’expression ou de médiation » explique le collectif de parents.
« Nos enfants veulent comprendre le monde, ce n’est pas un crime »
En saisissant la Défenseure des droits, les parents espèrent ouvrir un véritable processus de dialogue, pour que les lycées restent des lieux d’apprentissage, de protection et de liberté, et non de répression. « Nos enfants veulent comprendre le monde, ce n’est pas un crime » expliquent-ils.
Djéhanne Gani
Dans Le Café pédagogique :
