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Favoriser le rapport Ă  l’Ă©crit, un enjeu de dĂ©mocratisation pour l’Ă©cole ? Les Ă©changes qui ont Ă©maillĂ© l’atelier consacrĂ© Ă  cette question semblent le confirmer : difficile d’ignorer que l’aisance dans le rapport Ă  l’Ă©crit dĂ©termine en partie les parcours scolaires et sociaux. Mais comment la faciliter ? Aperçu des dĂ©bats.

Parler de « passage » Ă  l’Ă©crit, selon le modèle implicite d’une transcription, voire d’une traduction de l’oralitĂ©, est d’emblĂ©e contestĂ© comme une rĂ©duction faussĂ©e du problème. Le rapport Ă  l’oral est plus « naturel » que le rapport Ă  l’Ă©crit, rappelle une intervenante : les Ă©lèves arrivent Ă  l’Ă©cole avec un langage familier, tandis que l’Ă©criture (comme la lecture) sont des acquisitions plus complexes, d’un autre ordre culturel. Mais la tentative d’inculquer directement l’Ă©criture Ă  des Ă©lèves sourds-muets, qui n’ont pas de pratique orale, remarque un enseignant spĂ©cialisĂ©, aboutit Ă  l’Ă©chec. Il faut Ă©galement noter, prĂ©cise une enseignante belge, que la langue scolaire n’est pas forcĂ©ment la langue maternelle : en ce cas, le rapport Ă  l’oral n’est pas plus « naturel » que le rapport Ă  l’Ă©crit.

La maĂ®trise de l’Ă©crit prĂ©sente-t-elle vraiment une difficultĂ© particulière ? A-t-elle vraiment des effets discriminants d’un point de vue scolaire ? Les participants en conviennent. Mais la nature propre de cette difficultĂ©, et surtout celle de ces effets discriminants, pose problème. D’un point de vue technique, remarque une intervenante, le langage oral familier fonctionne par images globales, tandis que l’Ă©crit constitue un système d’analyse articulĂ©, transposable d’un domaine Ă  l’autre, d’une perspective ou d’une vision du monde Ă  une autre. AccĂ©der Ă  l’Ă©criture rigoureuse permet de ne pas rester enfermĂ© dans un système « naturel » de reprĂ©sentation.

L’Ă©crit, instrument technique pour une conception prĂ©cise et opĂ©ratoire du monde ? D’autres Ă©lĂ©ments surgissent dans le dĂ©bat : la maĂ®trise de l’Ă©crit draine des reprĂ©sentations symboliques très fortes. L’orthographe est un catalyseur de ces enjeux implicites : les enseignants doivent mettre plus de rigueur dans la correction des fautes d’orthographe, rĂ©clame une mère d’Ă©lève, soucieuse de la rĂ©ussite scolaire de ses enfants. InĂ©vitablement, on Ă©voque ces Ă©lèves d’autrefois censĂ©s Ă©crire sans fautes en fin de primaire. Mais il n’y a pas de fautes d’orthographes ou d’erreurs d’Ă©criture, corrige une participante ; seulement des manières diffĂ©rentes d’opĂ©rer dans la reprĂ©sentation du monde. Les jugements de valeur en ce domaine dissimulent des enjeux d’autoritĂ© – de domination ! s’emporte un autre participant. Cependant, prĂ©cise-t-elle, l’Ă©criture « est un acte coĂ»teux » : elle prĂ©sente des difficultĂ©s et demande un effort spĂ©cifique, quel que soit le degrĂ© de maĂ®trise de celui qui s’y efforce.

Quelle forme d’exigence, alors, avoir Ă  l’Ă©gard des Ă©lèves pour favoriser chez eux un rapport plus libre Ă  l’Ă©crit, sans dĂ©courager ni discriminer ? Un intervenant met en avant l’importance de l’utilitĂ© : l’Ă©lève Ă©crit s’il en voit l’utilitĂ©. Si on ne met pas en place des dispositifs de stimulation et de motivation liĂ©s Ă  l’efficacitĂ© quotidienne, les Ă©lèves ne s’investiront pas. Mais comment penser les critères de l’utilitĂ© de l’Ă©crit ? Une participante Ă©voque son expĂ©rience de retour aux Ă©tudes et sa souffrance devant les exigences d’un type d’Ă©crit, le mĂ©moire de maĂ®trise, dont il lui a fallu un long temps d’effort pour saisir le sens : « je ne comprenais pas ce qu’on attendait de moi », dit-elle, fière cependant d’avoir surmontĂ© la difficultĂ©.

L’utilitĂ© de l’Ă©crit est-elle identique au quotidien, dans les Ă©tudes, dans le discours savant ? Peut-on feindre de nier les exigences spĂ©cifiques de formes d’Ă©crits valables et partageables en droit, sous couvert du succès d’une communication sociale ludique ? Peut-on ramener la valeur de l’Ă©crit, en particulier dans un contexte de formation, Ă  ses seules qualitĂ©s expressives et Ă©motionnelles, mĂŞme si elles sont dĂ©terminantes en termes de motivation ? Dans les exercices scolaires, intervient une enseignante du secondaire, on utilise beaucoup les exercices « Ă  trous » : l’Ă©lève doit juste complĂ©ter les phrases, pour Ă©viter les effets discriminants du rapport Ă  l’Ă©crit, pour valoriser l’intelligence plutĂ´t que les qualitĂ©s rĂ©dactionnelles, et pour gagner un temps de classe toujours prĂ©cieux. Cependant, l’Ă©criture ne demande-t-elle pas une pratique longue et rĂ©gulière, adossĂ©e Ă  un corpus d’Ă©crits de rĂ©fĂ©rence qui forment autant qu’il informent, dans cette lenteur obligĂ©e qui favorise le cheminement et l’appropriation de la pensĂ©e ?

Le rapport Ă  l’Ă©crit ne serait-il pas indissociablement liĂ© au rapport au temps ? On pourrait Ă©baucher une rĂ©ponse Ă  la question initiale : favoriser le rapport Ă  l’Ă©crit, au moins d’un point de vue scolaire, ne serait-ce pas penser autrement le rapport au temps, non pas en termes de rythme mais de durĂ©e, pas en termes de scansion externe mais de lente maturation intĂ©rieure ?

Jeanne-Claire Fumet