« Leur envie m’a donné la force d’aller jusqu’au bout ». Enseigner l’anglais en bac pro mécanique n’est pas évident car les élèves se demandent à quoi ça leur sert. Marie Rosetti a donné du sens à son enseignement en amenant les lycéens à la découverte de la capitale mondiale de l’automobile : Détroit. Un voyage initiatique pour les élèves comme pour leur professeur qui a changé leur rapport au lycée.
Découvrir le monde quand on est en bac pro
Il y a des voyages qui forment vraiment la jeunesse, surtout celle des quartiers populaires, parce qu’ils réparent des ambitions meurtries et ouvrent de nouvelles fenêtres à la maturité de ces jeunes. Marie Rosetti, professeure de lettres – anglais au lycée polyvalent Fernand Léger d’Ivry (94) a imaginé et réalisé un voyage de ce type. « Je suis parti avec des ados. Je suis rentrée avec des adultes », nous a-t-elle dit.
A l’origine de ce projet fou – emmener une classe de bac pro mécanique passer une semaine aux Etats-Unis – un constat fait il y a trois ans en seconde. Pour la première fois le lycée organise un voyage pour les élèves de bac pro. Marie Rosetti propose un séjour en Angleterre. « J’ai vu l’émerveillement dans les yeux de jeunes qui n’ont jamais quitté leur banlieue ». C’est là qu’est née l’idée d’un voyage à Détroit parce qu’il lui apparait nécessaire de lier l’enseignement de mécanique à l’anglais dans ce projet. Et puis il y a ces fameuses fenêtres qu’il faut ouvrir à ces jeunes là particulièrement. « Je voulais montrer que même dans leur spécialité l’anglais est important s’ils veulent découvrir le monde ».
Voyage au pays des Chevrolet
Si les lycéens de seconde sont partants il reste à monter le voyage. Pédagogiquement il se prépare en mécanique où leur enseignant réussit à trouver une Chevrolet de la grande époque pour que les élèves découvrent la mécanique américaine. Les élèves travaillent aussi en anglais à la préparation du voyage. Des cours ont lieu aussi en arts plastiques, en histoire-géo, en éco-gestion.
Mais comment financer une semaine aux Etats-Unis avec des jeunes de milieu populaire ? M Rosetti frappe à plusieurs portes et ramène de l’argent. L’industrie automobile (à travers l’ANFA), l’intercommunalité Grand Orly Seine Bièvre, la ville d’Ivry, le lycée débloquent des subventions qui couvrent l’essentiel. Les élèves font une brocante, vendent des t shirts. Les familles mettent aussi de l’argent. Trois années après leur voyage en Angleterre, 10 élèves, sélectionnés sur leur motivation en mécanique et en anglais, partent séjourner aux Etats-Unis du 13 au 22 janvier 2019.
Pour les élèves c’est la découverte d’abord de New York où ils logent sur un campus, mélangés avec d’autres jeunes avec qui les échanges ne peuvent se faire qu’en anglais. Puis le séjour à Détroit avec la visite du musée Ford et du salon de l’automobile.
« Je pouvais peut-être changer leur parcours »
« Les élèves ont gagné en maturité », explique Marie Rosetti. « Ils ont du se débrouiller seuls sur le campus. Rapidement ils se sont faits des amis et ils n’ont plus eu besoin de moi pour faire l’interprète. Sur le campus on leur a demandé de faire des devoirs comme les autres jeunes. Ils les ont fait. Et cette aptitude ils l’ont ramené au lycée. Culturellement ce voyage les a beaucoup ouvert ».
Pour l’enseignante aussi il y a des découvertes. Evidemment en mécanique car les élèves ont expliqué à M Rosetti pourquoi certaines voitures américaines sont mythiques. Mais l’essentiel est ailleurs. « J’ai appris à travailler en équipe avec les élèves », explique M. Rosetti. « Ils m’ont aidé pour la préparation du voyage. Ils ont sélectionné les endroits qu’ils voulaient voir. Et je n’ai pas eu à les cadrer durant le voyage. Les rapports sont devenus adultes ». Mais la récompense du professeur est toujours dans le don. « Je me suis dit que je pouvais peut-être changer leur parcours, leur donner quelque chose. Je me sens récompensée. Je le referais volontiers ».
François Jarraud
