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Un sondage dit-il tout ? Non bien sur. Alors que le ministère publie les résultats de son sondage auprès des directrices et directeurs d’école, nous donnons la parole à 4 directrices rencontrées un peu partout en France. Mélanie, Laaldja et Patricia dirigent de grandes écoles urbaines. Laaldja est à Paris. Ses collègues dans des banlieues populaires. Marie est en poste dans une petite école rurale. Toutes ont des préoccupations et des attentes différentes…

« Le directeur est un facilitateur »

Pour Patricia Lartot, directrice de l’école élémentaire de douze classes Verne à Mantes La jolie (78), le directeur est « un facilitateur qui embarque avec lui ses pairs dans cette formidable aventure qu’est la vie d’une école ». Pour qu’une école fonctionne, selon elle, il faut que le temps de décharge des directeurs soit augmenté de manière significative, des aides administratives qui soient compétentes pour alléger les tâches récurrentes tels que l’accueil, répondre au téléphone… Il faut aussi que toutes les questions relatives aux enquêtes, questionnaires, tableaux… soient réduites, voire même supprimées. « On nous demande parfois des renseignements que l’on a déjà fourni ou qui pourraient être accessibles par ailleurs ». Il faudrait aussi, toujours selon Patricia, comme pour Mélanie, que les directeurs puissent disposer à leur guise des 108 heures. Elle évoque aussi le manque de formation, comme 54% des sondés « Il faut que l’on nous forme, en initiale et en continue, pour mieux nous armer aux situations, parfois délicates, auxquelles nous sommes confrontés ». Elle évoque aussi des groupes de paroles entre directeurs pour mieux vivre la fonction, pour se retrouver dans un collectif et rompre l’isolement de certains. « C’est un travail difficile, pas forcément source de souffrance. On a besoin de collectifs, de coopération, de pédagogie dont nous sommes les concepteurs et non les exécutants ». Elle pointe aussi l’organisation de notre système éducatif, le stop’n go des politiques éducatives « Assez de la réformite aiguë ». Concernant les résultats de l’enquête, « je constate à regret qu’un quart des collègues est favorable à l’évaluation des enseignants. La spécificité du premier degré, c’est que justement on pense que ce n’est pas un seul qui décide mais le collectif : le conseil des maîtres est souverain. Le directeur doit rester un pair parmi les pairs. La dimension hiérarchique risquerait d’isoler le directeur du reste de l’équipe. Je préfère un partage du pouvoir pour toutes les questions liées à la pédagogie »

« Un treizième mois ou mieux, nous payer les heures effectives que l’on fait »

Pour Mélanie, directrice d’une école élémentaire de dix classes, ces résultats ne reflètent pas vraiment ce qu’elle ressent. « Je suis assez partagée sur la notion de statut. Je souhaite un corps différent des professeurs des écoles, un corps qui disposerait de son propre syndicat. Par exemple, je veux pouvoir disposer des cent huit heures afin d’organiser au mieux la vie de l’école, pouvoir évaluer les enseignants me semble aussi intéressant, mais pas au même titre qu’un inspecteur de l’éducation nationale. Concernant mon quotidien, j’ai plein d’idées pour l’améliorer : un minimum de cinquante pour cent de décharge, une réelle simplification des taches avec par exemple un site national qui reprendrait tous les formulaires que nous sommes obligés d’aller chercher sur de multiples sites, un outil ONDE plus simple à utiliser, un treizième mois ou mieux, nous payer les heures effectives que l’on fait ! » Lorsqu’on évoque la possibilité de disposer d’une aide administrative, « pourquoi pas, mais il faudrait un deuxième ordinateur et un deuxième bureau, et c’est pas gagné… »

« le souci principal du refus de statut, c’est la diabolisation du lien hiérarchique »

Du côté de Marie, les résultats sont clairement une déception. Cette directrice d’une cinquantaine d’années est en poste dans le centre de la France dans une petite école rurale de trois classes. Avant d’enseigner, elle était cadre dans une société privée. Elle attendait beaucoup de ce rendez-vous, elle espérait un début de piste, d’amélioration. Et puis, elle ne se reconnait pas dans ces réponses. « Je pense que beaucoup de directeurs et directrices n’arrivent pas à imaginer que cela puisse être mieux. Comme d’ailleurs pour tous les français, une nouvelle organisation fait toujours peur. Quand quelque chose n’existe pas et qu’on décide de le mettre en place, il y a toujours une forme de résistance. Par exemple, l’aide personnalisée, cela avait fait un tollé. Si on demande aux enseignants de tout arrêter aujourd’hui, je ne suis pas sûre qu’ils le souhaiteraient, ils apprécient ces moments en petits groupes pour filer un petit coup de pouce aux élèves qui en ont besoin. Les directeurs ne se rendent pas compte de ce que cela changerait. Donc cela ne m’étonne pas qu’ils n’expriment pas le besoin de quelque chose qu’ils ne connaissent pas ».

Pour elle, le souci principal de ce refus de statut, c’est la diabolisation du lien hiérarchique, « pour beaucoup d’enseignants, qui dit chef, dit abus de pouvoir ». Et lorsqu’on lui demande pourquoi elle tient tant à ce statut, elle explique. « Moi j’ai cinquante ans, de l’assurance, mes collègues sont beaucoup plus jeunes, alors j’ai une sorte d’ascendant naturel sur eux. Mais pour les autres, ceux qui n’ont pas cette confiance en soi, qui n’ont pas forcément une longue expérience ou qui sont jeunes, la légitimité n’est pas simple à gagner auprès des collègues ».

Et toujours sur la question du statut, c’est lorsqu’il y a un problème que les choses se gâtent. « Quand dans l’équipe, un enseignant dysfonctionne, arrive en retard, fait de très longues récréations et que le directeur essaie de recadrer les choses, il l’envoie sur les roses. Cela ne serait pas le cas s’il était devant son supérieur. Ce sont des petites choses qui mettent à mal la vie de l’école, le climat scolaire ». Elle précise que finalement ce n’est pas le directeur qui change de posture s’il devient supérieur, c’est la perception qu’ont de lui ses collègues qui évolueraient. Elle tempère tout de même son propos. « Pour moi un directeur doit enseigner un minimum, être dans la classe cela donne une sorte de légitimité ». Elle dispose quant à elle d’une décharge d’un jour par mois, qu’elle n’a pas toujours même si elle a bénéficié de la journée supplémentaire promise par le ministre le vendredi des vacances de Noel.

Ce qu’elle regrette le plus ? La suppression du poste d’aide administrative qui lui permettait de ne pas se noyer. « Elle venait huit heures par semaine, cela peut sembler peu mais c’était largement suffisant pour les petites tâches administratives d’une école aussi petite que la mienne ». Elle termine en abordant la revalorisation salariale. « L’indemnité de direction est tout de même ridicule, ce n’est pas cela qui créera des vocations. Et ce n’est vraiment pas juste avec toutes les responsabilités et le boulot que cela représente ».

« Je réclame les moyens humains pour faire mon travail »

Et pour finir, quand on demande à Laaldja Mahamdi, directrice de l’école Simon Bolivar dans le dix-neuvième parisien ce qu’elle pense du questionnaire et des réponses de ses collègues, son propos est clair. « Je ne souhaite pas d’un rapport hiérarchique avec mes collègues qui ne répondrait qu’à une logique d’évaluation à sens unique. Mais ne faudrait-il pas que l’importance de nos taches soit reconnue comme une responsabilité à part entière ? Cela veut dire disposer d’une réelle autonomie d’action dans les trois domaines essentiels de notre fonction : l’animation pédagogique de l’équipe enseignante avec la gestion des 108h, l’organisation de l’action pédagogique, la coordination des projets…, les relations avec les familles et l’attention portée aux élèves.

Selon moi, notre travail est d’abord d’animer une équipe en tenant compte des réalités humaines de chacun et de construire collectivement un projet pédagogique pour nos élèves. C’est aussi de pouvoir avec les familles établir une relation équilibrée et constructive basée sur le respect et l’écoute.

Un autre aspect important de notre rôle est la relation avec les élèves pour régler quotidiennement les petites blessures scolaires et ainsi contribuer à une atmosphère apaisée dans l’école. C’est aussi construire avec les enseignants le projet, les aides pour chaque élève. Ces taches me paraissent être les plus urgentes et les plus importantes. Et elles prennent du temps ». La revendication qui en découle est toute aussi limpide. « Je réclame donc les moyens humains pour faire mon travail sans être accaparée et détournée par des tâches administratives dont l’utilité n’est pas toujours évidente. Il me faut donc une aide administrative par un personnel ayant reçu une formation adaptée ».

Lilia Ben Hamouda