UtilisĂ©es comme un outil de pilotage du système Ă©ducatif notamment pour le dĂ©coupage de la carte scolaire, les donnĂ©es concernant l’Indice de position sociale (IPS) Ă©taient jusque-lĂ assez confidentielles et considĂ©rĂ©es comme domaine rĂ©servĂ© de l’Education nationale. Il a fallu un recours au tribunal administratif et une dĂ©cision de justice pour que ces donnĂ©es soient enfin accessibles. MĂŞme si l’on n’a pas accès au dĂ©tail de leur production ni Ă leurs diffĂ©rents modes d’utilisation, ces donnĂ©es Ă©taient depuis longtemps attendues par la communautĂ© Ă©ducative (parents, enseignants, formateurs, chercheurs). Certes, les donnĂ©es en matière d’Ă©ducation sont encore loin d’ĂŞtre accessibles, mais cela traduit un progrès notable dans le mouvement d’ouverture des donnĂ©es publiques. Pour autant, l’accès aux donnĂ©es d’IPS permettra-t-il d’ouvrir des pistes de rĂ©flexion et d’action en matière de lutte contre les inĂ©galitĂ©s scolaires ? Retour sur un mouvement d’ouverture des donnĂ©es qui interroge sur la volontĂ© de promouvoir une vĂ©ritable mixitĂ© sociale.
L’IPS, une donnée sensible jusque-là réservée aux décideurs
CrĂ©Ă© en 2016 pour remplacer les Professions et CatĂ©gories socioprofessionnelles (PCS) et y intĂ©grer des variables socio-culturelles, l’IPS constitue un indicateur quelque peu sensible dans la mesure oĂą il est censĂ© reflĂ©ter la position sociale de chaque Ă©tablissement scolaire. C’est l’un des motifs invoquĂ©s par le ministère qui considère dans sa rĂ©ponse au tribunal de Paris que « communiquer les indices […] conduirait inĂ©vitablement Ă la publication de classements, hiĂ©rarchisant les Ă©tablissements scolaires selon leur composition sociale ». Le tribunal a dĂ©cidĂ© malgrĂ© tout que le Ministère de l’Éducation Nationale devait fournir, Ă des fins de transparence, lesdites donnĂ©es « dans un dĂ©lai de trois mois Ă compter de la notification du prĂ©sent jugement ». Dans le jeu de donnĂ©es mis en ligne en octobre 2022 sur le site Data.education.gouv.fr, le ministère n’a au dĂ©part ajoutĂ© qu’un seul critère au-delĂ de l’IPS moyen, celui des Ă©tablissements publics et privĂ©s sous contrat, attirant de fait le regard sur un type spĂ©cifique d’inĂ©galitĂ©s. Si le clivage public/privĂ© est une source d’inĂ©galitĂ© majeure, celle-ci n’est malheureusement pas la seule. Il a fallu attendre fĂ©vrier 2023 pour disposer de sĂ©ries statistiques plus complètes intĂ©grant les Ă©volutions depuis 2016 avec les Ă©carts-types permettant de conduire des analyses plus fines Ă l’échelle de chaque Ă©tablissement. Ce dĂ©calage dans la publication des donnĂ©es a conduit la plupart des mĂ©dias Ă produire des comparaisons Ă partir du seul IPS moyen, stigmatisant de fait les plus dĂ©favorisĂ©s. On peut dĂ©sormais conduire des analyses plus fines, notamment en croisant les IPS moyens avec les Ă©carts-types des Ă©tablissements.
Indice de position sociale et (non) mixité sociale. Le contraste entre collèges publics (en bleu) et collèges privés sous contrat (en orange) est sans équivoque
Un mouvement d’ouverture des données en matière d’éducation qui est susceptible de déboucher sur des pistes de réflexion et d’action
Les cartes et graphiques construits par des statisticiens, des cartographes, des économistes, des politologues ou même de simples citoyens, sensibles à la question des fractures scolaires, permettent de mettre en visibilité des ségrégations socio-spatiales à différents niveaux. Celles-ci existent non seulement entre établissements privés et publics, mais entre REP (ou REP+) et non REP (zones situées en réseau ou hors réseau d’éducation prioritaire) et aussi entre France métropolitaine et départements d’outre-mer où les disparités sont encore plus marquées. Les inégalités se déclinent de fait à toutes les échelles, avec des spécificités en fonction des territoires et des types d’établissement (voir par exemple la carte de l’IPS des lycées en France métropolitaine et dans les DROM). Ces statistiques et représentations (carto)graphiques sont importantes pour mesurer et documenter les niveaux de ségrégation scolaire. Il semble cependant possible d’aller plus loin en termes de réflexion. Sur la base de ces éléments objectifs, des moyens supplémentaires pourraient par exemple être affectés aux établissements qui en ont le plus besoin, comme le propose l’Observatoire des zones prioritaires (OZP). Des expériences d’établissements multi-secteurs voire de désectorisation sont également en cours. Loin de rompre avec le principe de l’égalité républicaine, il en va de l’équité entre établissements scolaires et de la solidarité entre territoires.
Carte interactive pour visionner l’indice de position sociale des lycĂ©es
en France métropolitaine et DROM (voir la carte interactive)
Des enjeux en termes d’éducation aux données et à la citoyenneté : des « éducations à  » qui devraient prendre les territoires scolaires comme objet d’étude
L’éducation aux données, l’éducation au territoire et à la justice socio-spatiale constituent des enjeux éducatifs forts. L’implantation des écoles, le fonctionnement spécifique des territoires éducatifs, les problèmes d’inégalités scolaires ou de mixité sociale pourraient être étudiés aussi bien en histoire-géographie qu’en SES. L’analyse et le traitement de données, leur représentation graphique mobilisent également des compétences en mathématiques et en informatique. Il s’agit donc d’un bel objet d’étude transversal. Au-delà des murs de l’école, ces questions mobilisent tous les acteurs. Qu’il s’agisse de réfléchir aux mobilités scolaires, au bâti ou au patrimoine scolaire, aux formes de polarisation spatiale, aux logiques de proximité et de distance qui en résultent (sur le plan géographique, social ou symbolique), beaucoup d’études peuvent être conduites dans l’enseignement et la formation. En lien avec le mouvement de l’open data, les jeux de données géographiques sont de plus en plus disponibles (y compris les données concernant la carte scolaire qui viennent récemment d’être mises à disposition pour 86 départements). Du point de vue des sciences sociales et humaines, c’est aussi l’occasion d’exercer son esprit critique face aux limites de la « datafication » du monde social, notamment le pilotage du système éducatif par les données comme en témoigne par exemple le débat actuel sur le maintien ou la fermeture de certaines écoles sur la base des seules évolutions démographiques. Même si les données deviennent plus accessibles, encore faut-il savoir les traiter et les interpréter, en comprendre les limites de validité et de signification en fonction des autorités qui les produisent. Rappelons par exemple que l’objectif premier de la carte scolaire pour l’Education nationale n’est pas tant la recherche de mixité sociale que la détermination des effectifs pour savoir s’il faut ouvrir ou fermer des classes. Les politiques scolaires devraient aller bien au-delà de la seule prise en compte des données socio-démographiques et s’attacher à la qualité du cadre scolaire et éducatif au sens large.
C’est en ce sens que nous avons mis en ligne un Atlas des territoires Ă©ducatifs Ă La RĂ©union. Quelle est l’implantation des Ă©tablissements scolaires ? Y a-t-il des spĂ©cificitĂ©s des territoires Ă©ducatifs dans les territoires ultramarins ? Comment traiter des inĂ©galitĂ©s scolaires en interrogeant les dĂ©terminants socio-Ă©conomiques et socio-culturels ? La cartographie permet de mettre en Ă©vidence le fonctionnement des territoires scolaires. Elle invite Ă contextualiser et Ă mettre en dĂ©bat des questions concernant l’École. Cet atlas rĂ©alisĂ© par le laboratoire Icare de l’universitĂ© de La RĂ©union cartographie Ă©galement les donnĂ©es IPS et montre les disparitĂ©s. D’autres chercheurs en sciences de l’éducation, en sciences politiques, en gĂ©ographie, en Ă©conomie s’intĂ©ressent Ă cette « gĂ©ographie de l’Ecole ». L’article rĂ©cent publiĂ© par Hugo Botton et Youssef Souidi, Le collège d’à cĂ´tĂ©, en tĂ©moigne. Les auteurs s’interrogent sur la manière dont la sĂ©grĂ©gation sociale se reproduit entre Ă©tablissements scolaires parfois très proches. Dans un autre article, L’école, la carte et les territoires, Hugo Botton identifie des frontières discriminantes qui pourraient ĂŞtre redĂ©coupĂ©es pour favoriser la mixitĂ© sociale. Autant de travaux de recherche qui prĂ©sentent un grand intĂ©rĂŞt du point de vue de la cartographie et des mĂ©thodologies mises en Ĺ“uvre. La carte comme l’information sont au cĹ“ur d’enjeux de pouvoir et de contre-pouvoir. Les IPS ont vocation Ă ĂŞtre croisĂ©s avec d’autres donnĂ©es qui ne se limitent pas au seul critère de la rĂ©ussite des Ă©lèves. MĂŞme si la mixitĂ© sociale n’est pas facile Ă atteindre en raison de l’absence de mixitĂ© rĂ©sidentielle et des formes de sĂ©paratisme qui perdurent dans la sociĂ©tĂ© française, la mise en carte de ces donnĂ©es permet de rendre visible les disparitĂ©s et de favoriser le dĂ©bat autour des (re)dĂ©coupages de la carte scolaire. Il convient de pouvoir dĂ©battre ensemble de ces choix, parents, enseignants, formateurs, chercheurs et Ă©ducateurs.
Sylvain Genevois, enseignant-chercheur en géographie et sciences de l’éducation, Université de La Réunion (INSPÉ)
Liens :
Etudier les inégalités scolaires à partir de l’Indice de position sociale
https://cartonumerique.blogspot.com/2022/10/ips-etablissements-scolaires.html
Étudier les inĂ©galitĂ©s scolaires Ă La RĂ©union et Ă Mayotte. Quelles fractures socio-territoriales au prisme de l’Indice de position sociale (IPS) ?
https://hal.science/hal-03883269
Atlas des territoires Ă©ducatifs de La RĂ©union
https://storymaps.arcgis.com/stories/f3d0dbd1fe90401bb41465f035228b3f