Marseille a connu mieux comme manifestation. Un millier de personnes battaient le pavé mardi matin à l’appel de cinq organisations syndicales de la Fonction publique pour dénoncer les coupes budgétaires en cours et les conséquences qu’elles peuvent avoir sur l’emploi et le fonctionnement des services. L’éducation composait un peu plus de la moitié du cortège. La brutalité des attaques (50 milliards en mois dans le budget 2024, 40 annoncés pour l’année prochaine), la suppression de postes notamment dans le premier degré et surtout la grande cacophonie politique au sommet de l’Etat avec une extrême-droite omniprésente dans les prises de décision n’ont pas aidé les fonctionnaires à se mettre massivement en mouvement. C’était vrai à l’Éducation Nationale et aussi dans l’ensemble des ministères. Le Café pédagogique est allé à la rencontre de militant.es syndicaux.ales. Ambiance :
« La difficulté scolaire est de plus en plus externalisée vers des professions libérales »
Céline Peccini, directrice d’école maternelle à Aix-en-Provence co-secrétaire départementale de la FSU- SNUIPP des BdRh.
« Les coupes budgétaires motivent les raisons de cette grève. Deux point essentiels suscitent de vives discussions en salle des maîtres : le jour de carence accompagné d’une indemnité limitée à 90 % du traitement en cas d’arrêt maladie. Et la carte scolaire négative (400 suppressions de postes sur le plan national, de nombreuses fermetures de classes dans notre département malgré les difficultés scolaires que rencontrent nos élèves). Le DASEN a modifié les seuils de fermeture de classe : il est fixé à 28 élèves au maximum en maternelle et 25 en élémentaire. C’était pourtant le moment de sauter sur l’occasion de la baisse démographique pour améliorer conditions de travail des collègues et d’étude des élèves. La difficulté scolaire est de plus en plus externalisée (vers des professions libérales) au détriment de postes de RASED qui continuent à disparaître. Les collègues sont conscients de tout ce qui se passe, mais ils ressentent pour le moment une sorte de fatalisme sans perspectives sociales et politiques crédibles. Notre travail syndical consiste à transformer ce sentiment en colère et envie de se mobiliser ».
« J’ai travaillé toute ma vie et, arrivée à la retraite on me reproche tout simplement d’exister »
Corinne Vialle, professeure des écoles et directrice d’école à la retraite, militante de la Fédération Générale des Retraités de la Fonction Publique (FGR-FP).
« J’ai travaillé toute ma vie et, arrivée à la retraite on me reproche tout simplement d’exister. Je trouve cela indécent. La retraite c’est l’aboutissement d’une vie professionnelle. À l’autre bout de la chaine on voit des étudiants qui n’arrivent pas eux aussi à subvenir à leurs besoins. Nous subissons des attaques assez indignes, à la fois sur le montant des pensions, il faut régulièrement manifester pour leur indexation, mais aussi sur la fiscalité. On voudrait nous faire croire que les 10 % d’abattement sur le montant de nos revenus pour le calcul de notre retraite sont un avantage et une niche fiscale, alors que les retraités ont de petits moyens. Certains d’entre nous qui étaient non imposables pourraient le devenir et dépasser certains plafonds pour l’octroi d’aides sociales. Nous avons toute notre place dans ce type de manifestation.
Nous sommes organisés en intersyndicale permanente (le groupe des 9) avec des associations comme la FGR, ce qui est important et mérite d’être souligné dans le paysange syndical français ».
« Beaucoup de stagiaires renoncent au bénéfice du concours pour rester non-titulaires »
Agnès Bely, PLP au lycée Hôtelier de Marseille, militante du SNUEP-FSU.
« Les effectifs d’élèves progressent dans notre académie. Nous avons dans les DGH quelques heures en plus, mais elles ne se traduisent pas par des créations de postes. Ce sont soit des heures supplémentaires soit des heures sur lesquelles seront recruté.es des contractuel.les. L’attractivité du métier n’en sort pas gagnante. Il devient quasiment impossible dans certaines disciplines (éco-gestion, STMS) d’obtenir l’académie, ce qui n’incite pas les étudiants à passer les concours. Beaucoup de stagiaires renoncent au bénéfice du concours pour rester non-titulaires.
Hier et aujourd’hui ont lieu les épreuves du Bac Pro ce qui, à ce moment du calendrier, revient à raccourcir de 4 semaines l’année scolaire. C’est à l’exact opposé de ce qu’il faudrait faire : une augmentation du niveau de qualification. Tout cela pour mettre en place une réforme idéologique dit « parcours en Y » où les élèves sont séparés entre ceux qui vont effectuer six semaines de stage (rémunérés par l’état 100 € par semaine) et ceux qui poursuivront l’année au lycée avec une hypothétique poursuite d’études. Les stagiaires entrent en concurrence avec les apprentis compte tenu des baisses de dotation pour l’apprentissage. C’est une manne pour les entreprises. En plus, rester au lycée n’est pas une des conditions pour s’inscrire dans une formation post-bac de type BTS. La répartition entre « stage » et « poursuite d’études » est très variable d’un lycée à l’autre, ce qui continue à éclater le système éducatif. Par exemple dans mon établissement 4 élèves sur 75 ont choisi de finir l’année au lycée et vont se retrouver intégrés, dans le meilleur des cas, en classe de BTS ou alors seront commis de cuisine à la cantine. C’est du n’importe quoi. »
« L’enseignement privé ne remplit pas les missions de service public »
Eric Mampey, PLP au lycée professionnel Poinso-Chapuis à Marseille, secrétaire académique UNSA Éducation
« Nous voulons montrer au gouvernement que nous sommes contre la diminution des indemnités journalières versées. Il n’y a pas de raison d’être pénalisé en cas d’arrêt maladie. Nous voulons que le gouvernement revienne sur sa décision de geler la Garantie Individuelle du Pouvoir d’Achat (possibilité pour un fonctionnaire qui n’a pas été augmenté depuis 4 ans de bénéficier d’une prime). Et bien évidemment nous voulons revenir à un âge légal de départ à la retraite à 62 ans et pas 64, même s’il existe un projet de décret pour un départ progressif à 60 ans dans la fonction publique sur la base du volontariat. Sur les questions budgétaires, nous considérons que le nombre de fonctionnaires qui forment la communauté éducative, ne doit pas baisser. Au contraire, il faut profiter de la situation actuelle pour augmenter le taux d’encadrement. Nous avons aussi besoin d’une revitalisation de la carte scolaire en ce qui concerne l’Éducation Prioritaire plutôt que de favoriser l’enseignement privé qui ne remplit pas les missions de service public.
« Il faut toujours faire plus avec un peu moins de moyens »
Léa Comushian, professeure d’anglais au collège J-C Izzo (classé REP+), militante au SNES-FSU d’Aix-Marseille.
« Dans mon établissement l’état d’esprit oscille entre colère et épuisement. Nous avions demandé beaucoup plus d’heures pour l’accueil de nos élèves en difficulté, ce qui a été refusé. D’une façon générale les moyens sont soit constants, soit à la baisse, il faut toujours faire plus avec un peu moins de moyens.
La mobilisation d’aujourd’hui n’est pas à la hauteur de ce que l’on espérait contrairement à la grève éducation du 5 décembre dernier. Le contexte politique, la pression du RN, le manque de cohérence du gouvernement, le sentiment d’abandon pour le service public créent une certaine résignation que nous essayons de combattre. Ce n’est pas évident pour les collègues de partir à chaque reprise au combat quand ils-elles voient leurs conditions de travail et d’études pour les jeunes se dégrader. Mais il faut malgré tout continuer à lutter. C’est vital ».
Alain Barlatier
