Mystère, mystère, vraiment ? dans sa chronique, l’historien Claude Lelivère souligne l’évolution et l’exception française du décrochage des filles en mathématiques et le rôle de l’école : « Lorsque l’épidémie de Covid a entraîné la fermeture des écoles, l’écart entre les genres a diminué, ce qui nous a permis de conforter l’hypothèse que ce n’est pas à la maison que les écarts se renforcent, mais bien à l’école » écrit-il.
Premier mystère : pourquoi est-ce en France que ce type de phénomène apparaît le plus fort et s’accentue ?
Selon la note d’information de la DEPP de février 205, les dernières évaluations nationales et internationales en mathématiques présentent des écarts de performances entre filles et garçons cohérents avec ceux obtenus aux évaluations nationales exhaustives L’enquête internationale Timss (Trends in International Mathematics and Science Study) a été menée en mai 2023 dans 57 pays ou provinces auprès d’élèves en fin de CM1 et en fin de quatrième.
En France, l’écart de score en mathématiques entre filles et garçons calculé à partir de cette enquête est, en fin de CM1, de 30 points de score standardisé, soit un niveau proche de ceux mesurés à partir des évaluations nationales exhaustives en début de CM1 et en début de CM2 (respectivement 29 et 32 points). Parmi les 29 pays de l’OCDE participant à Timss, c’est en France que l’écart de score en mathématiques entre filles et garçons est le plus important (Cioldi et Raffy, 2024). Cet écart de score a beaucoup augmenté au cours des derniers cycles d’évaluations : il représentait 8 points de score standardisé en 2015 et 16 points en 2019.
En quatrième, l’écart de score de mathématiques entre filles et garçons mesuré par Timss est de 15 points en faveur des garçons. Il est donc bien plus faible que celui mesuré en fin de CM1 par la même enquête, et est comparable à celui mesuré par les évaluations nationales exhaustives de début de quatrième (de 18 points de score standardisé).
L’écart de performances entre filles et garçons aux évaluations Timss en mathématiques est moins accentué en classe de quatrième qu’en CM1 dans de nombreux pays ; la différence est toutefois particulièrement marquée en France. L’évaluation Timss menée en 2019 et 2023 montre que l’écart de score standardisé entre filles et garçons en CM1 a augmenté de 14 points au cours de cette période.
On peut se perdre en conjectures pour expliquer ces augmentations et cette place peu enviable dans les différences entre filles et garçons. Mais les faits sont là, même s’ils gardent leur mystère…
Deuxième mystère : on ne perçoit guère ce qui peut expliquer le net décrochage à partir du CP
Selon le résumé de l’intervention de Pauline Martinot au colloque organisé au Collège de France du 18 octobre 2024, l’idée que les enfants absorberaient lentement, avec le temps, un biais social qui s’accumulerait et selon lequel « les filles sont mauvaises en mathématiques » a été réfutée.
Il apparaît au contraire qu’ils l’acquièrent rapidement et au cours de la première année scolaire. Dans une évaluation longitudinale sur quatre ans du langage et des mathématiques chez tous les élèves français de CP et de CE1 (environ trois millions d’enfants), l’écart entre les genres en mathématiques reste négligeable au début de l’école, mais augmente fortement dès l’entrée à l’école avec la même intensité, quel que soit le mois d’âge de l’enfant, au lieu de croître progressivement avec le temps. Ces résultats se répètent chaque année et sont à peine modifiés par le statut socio-économique, les catégories d’écoles, la performance moyenne en mathématiques de la classe, l’hétérogénéité de niveau au sein de la classe, le ratio de genre de la classe et le genre du meilleur élève de la classe.
De plus, lorsque l’épidémie de Covid a entraîné la fermeture des écoles, l’écart entre les genres a diminué, ce qui nous a permis de conforter l’hypothèse que ce n’est pas à la maison que les écarts se renforcent, mais bien à l’école.
Troisième « mystère » : comme le phénomène apparaît très tôt dans la scolarité et que l’on peut faire l’hypothèse que cela aurait à voir avec des « stéréotypes genrés », l’accent en la matière ne devrait-il pas être mis en avant dès la période de la scolarité élémentaire ?
Le très intéressant rapport de l’Inspection générale de mai 2013 sur « Les inégalités scolaires entre filles et garçons dans les écoles et les établissements » avait indiqué fort opportunément que « l’effort a porté jusqu’ici sur la diversification des choix d’orientation. Mais cet effort a rencontré ses limites en intervenant assez tard dans le processus d’orientation, en fin de collège, au moment où les représentations stéréotypées sur les métiers et les formations qui y conduisent sont déjà construites ». Enfin ce rapport avait également souligné à juste titre que « l’enseignement primaire a été l’angle mort » des politiques de réduction des inégalités scolaires (même si, ici ou là, de très intéressantes initiatives avaient pu avoir lieu).
Certaines des orientations de la convention interministérielle signée en février 2013 entre le ministre de l’Education nationale Vincent Peillon et la ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem allaient dans ce sens. Cette convention annonçait en particulier « la création d’un programme »ABCD de l’égalité » qui s’adresse à l’ensemble des élèves de la grande section de maternelle au CM2 et à leurs enseignants, et vise à déconstruire des stéréotypes de genre ».
Il était aussi d’ores et déjà projeté (et c’était aussi indéniablement une nouveauté), « une formation à l’égalité pour les enseignants : un module spécifique »lutte contre les stéréotypes de genre dans les pratiques professionnelles » sera prévu dans le cahier des charges des futures écoles supérieures du professorat et de l’éducation ». Et la formation continue n’était d’ores et déjà pas oubliée : « cette thématique sera également déclinée dans la formation continue de l’ensemble des personnels de l’Education nationale […]. Des outils de formation en ligne seront établis et mis à disposition sur les sites disciplinaires et généralistes du MEN »
Mais face à la mobilisation dans la rue contre notamment le « mariage pour tous » et ses corollaires, et face aux appels en janvier 2014 à des journées de « retrait de l’école » contre le programme ABCD, le gouvernement nommé en avril 2014 avec à sa tête le Premier ministre Manuel Valls a mis »la pédale douce »…
Claude Lelièvre
