Frédéric Grimaud relate des entretiens de professeur.es des écoles, qui parlent de leur métier, de l’organisation de leur travail, et de tous les choix auxquels le quotidien de la classe les confronte. Chaque semaine, retrouvez deux d’entre eux et elles qui expriment un point de vue différent sur la manière de faire leur métier, qui n’utilisent pas les mêmes outils pour réaliser leur tâche, qui ne font pas les mêmes gestes professionnels. Sylvie et Amel sont enseignantes et elles échangent sur les aménagements qu’elles font pour accueillir, chacune dans leurs classes de cycle 2, un élève en situation de handicap. Amel regarde une vidéo d’une séquence de classe menée par Sylvie, un passage où l’élève en inclusion commence à fortement d’agiter.
« On ne devrait pas avoir de portable en classe »
Amel : Oui là on voit que ça devient compliqué. C’est plus tenable en vrai. Par contre je ne comprends pas bien ce que fait l’AESH ? On dirait qu’elle lui fait regarder un truc sur son portable. Tu vois moi de prime abord en voyant ça ça m’interpelle. Déjà nous les adultes on ne devrait pas avoir de portable en classe. Mais je sais que maintenant c’est plus un sujet, tout le monde a son téléphone dans la poche ou sur le bureau et même parfois on s’en sert pour prendre des photos en classe. Donc ça OK. Mais là l’AESH elle est carrément en train de regarder un truc sur le portable avec l’élève et ça je ne comprends pas.
« Y’a plein de choses à imaginer autre que prendre un téléphone »
Je ne pense pas que ce soit bon pour plusieurs raisons. D’abord, parce que les enfants ils sont déjà tout le temps sur les écrans, on le sait bien et on sait le problème de société que c’est. Donc là l’AESH elle fait un truc que on sait que c’est un problème majeur pour les enfants de nos jours. Ensuite, elle choisit la facilité et elle ne cherche pas à proposer d’autres aménagements tu vois. Y’a plein de choses à imaginer autres que prendre un téléphone. Un puzzle, un livre, un dessin… je ne sais pas. Et puis aussi je me dis que les autres enfants ils voient ça. Ils doivent se dire que pourquoi un élève a le droit au téléphone ? Non vraiment c’est quelque chose qui me dérange dans ce passage.
« Dès que tu sors un écran, ça fait comme un aimant »
Sylvie : Je comprends bien, moi aussi je suis contre les écrans aux enfants … surtout s’il y a des liens entre leurs pathologies à certains et les écrans. Mais là tu vois avec A, on sait plus quoi faire et franchement si y’a pas l’AESH, impossible qu’il vienne en classe. Il est en attente d’IME et je vois combien c’est dur pour lui de rester en classe mais là il est dans ma classe et faut que je trouve des portes de sorties. Quand il commence à s’agiter, après c’est sans fin et les crises sont terribles. J’ai déjà été obligée d’arrêter complètement la classe et de descendre en récréation pour tout le monde tellement il hurlait. Mais on s’est vite aperçu que dès que tu sors un écran, ça fait comme un aimant, il est attiré et il bloque. C’est sûr que c’est nul, j’en ai bien conscience, mais l’AESH lui permet ainsi de tenir jusqu’à la fin de la matinée. Sinon c’est mission impossible.
« Les écrans, c’est parfois un truc maudit et parfois notre seule bouée de secours »
Les puzzles, les livres … il ne s’y intéresse déjà pas du tout en temps normal alors en temps de crise ! C’est sur le portable, c’est un peu la carotte. C’est sûr. Mais au moins il est avec nous. Il ne regarde rien de spécial en plus, il fait défiler des photos ou des pages je ne sais pas. L’AESH est à côté et elle met des mots sur ce qu’il fait. Mais franchement on ne peut pas faire mieux. Les écrans, c’est parfois un truc maudit et parfois notre seule bouée de secours. J’ai 24 autres élèves hein, je ne peux pas gérer un, voire deux, crises par jour. Alors même si ça fait râler, vive les téléphones !
Le mot du chercheur : L’usage des écrans en général et du téléphone en particulier a bouleversé la société et bien entendu impacté l’école. Au-delà de la question de leur autorisation ou cadrage dans l’espace scolaire, les écrans questionnent aussi les pratiques pédagogiques. Ici, cette problématique se télescope avec une autre, liée à la l’inclusion d’élèves très éloignés de la norme attendue par l’institution.
Sylvie se retrouve aux prises avec deux préoccupations importantes, l’une tournée vers la gestion de l’usage des écrans et l’autre vers la gestion d’en élève qui peut faire des crises importantes. Elle fait des choix et même contraints, elle les assume face à sa collègue.
Frédéric Grimaud
Thème d’année à l’école : « Ça a tendance à m’étouffer. Je me sens bridée »
