Laurence et Inès sont enseignantes, en CP et en CE2. Elles échangent sur le temps passé à l’école hors présence des élèves. Lorsque la discussion porte sur le choix de rester manger à l’école ou non, elles expriment des avis différents. Frédéric Grimaud relate des entretiens de professeur.es des écoles, qui parlent de leur métier, de l’organisation de leur travail, et de tous les choix auxquels le quotidien de la classe les confronte. Chaque semaine, retrouvez deux d’entre eux et d’entre elles qui expriment un point de vue différent sur la manière de faire leur métier.
« La plupart des collègues mangent sur place »
Laurence : Tu vois moi, après la classe le matin, je raccompagne les élèves au portail bien sûr mais après je vais direct dans la salle des maîtres. En plus dans cette école, la salle est très grande et la plupart des collègues mangent sur place aussi. C’est un moment très important et il s’y passe beaucoup de choses. D’abord, je corrige les cahiers d’écriture du matin. Les élèves m’ont rendu les cahiers empilés sur mon bureau, ouverts à la bonne page, et j’ai plus qu’à les descendre et les corriger. Je fais souvent ça en premier, car je suis encore dedans, je les ai observés écrire et je corrige mais j’écris aussi un petit commentaire dans la marge. Pas à tous, mais notamment à ceux à qui j’ai quelque chose à dire. Ça c’est mieux de le faire directement après la séance. En plus ils aiment bien en début d’après midi que je rende les cahiers.
« Les concertations on les fait systématiquement entre midi et deux »
Pour moi c’est cohérent pédagogiquement. Je fais ça dans la classe ou bien dans la salle des maîtres ça dépend. Ensuite, dans cette salle on a un petit frigo et un micro-ondes donc je prends mon repas et en général y’a le reste de l’équipe. Comme je le disais, la plupart des collègues restent manger aussi donc on en profite pour parler. De l’école bien sûr mais également de choses diverses et avec le recul je trouve ça important car ça crée une cohésion de groupe aussi. Non vraiment le repas du midi c’est un moment important, je dirai même un temps de travail. D’ailleurs nous les concertations on les fait systématiquement entre midi et deux. On est déjà là et la directrice nous note les heures de concertations sur tel ou tel sujet. C’est du temps de travail informel mais qui est parfois formel. Et au moins dans cette école, on n’est jamais obligés de rester le soir ou le mercredi matin … tout se fait à midi.
« Avec mon ancienneté, j’ai un poste près de chez moi »
Inès : OK mais ça oblige aussi des personnes qui ne peuvent pas rester manger pour telles ou telles raison à rester non ? Moi je sais que je ne pourrais pas rester toujours manger à l’école. Même je ne veux pas ! En fait la matinée me demande beaucoup d’énergie et la pause de midi j’en ai besoin. Je ne parle pas des collègues qui ont des enfants ou quoi, où ça peut poser question mais même à titre perso, alors que je pourrais très bien rester à l’école, je rentre chez moi. Toujours. Avec mon ancienneté, j’ai un poste près de chez moi et c’est aussi parce que ça me permet de ne pas manger à l’école. Je ne dis pas que l’on ne s’entend pas avec l’équipe, on est plutôt en bonne ambiance et on fait aussi des moments conviviaux. Mais tous les jours non merci.
« Donc j’ai une vraie pause »
J’ai besoin de rentrer chez moi, de me poser. Et me poser vraiment je ne crois pas que je puisse le faire à l’école. A l’école, tu vis des temps collectifs avec tout ce que cela génère. Pour se reposer, il ne faut pas être sollicité et être au calme, c’est nécessaire. Chez moi c’est même vital je dirai. J’arrive chez moi ce n’est même pas midi et je repars à 13h15 donc j’ai une vraie pause, qui me laisse le temps de manger et de me reposer. Je n’imagine pas la passer au milieu des cahiers d’élèves et des collègues qui parlent de l’école.
Le mot du chercheur : L’activité de travail se détermine par ses contraintes. Contraintes d’espaces, contraintes de temps, contraintes d’objectifs … qui bien entendu limitent l’autonomie procédurale mais peuvent également être facteur de créativité. Si le travail des enseignant·es est contraint par les horaires de l’école et les 108 heures annuelles, il reste une partie non négligeable du temps qui est à la libre organisation du sujet. Le choix que font les enseignant·es d’organiser leur temps « hors la classe » est aussi porteur de normes et de valeurs qui sont propres au métier et propre à chacun·e.
Frédéric Grimaud
« C’est mieux si les enfants ne connaissent pas notre vie privée »
