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Par François Jarraud

Au long d’un discours d’une heure, lu avec si peu d’entrain qu’il lui a fallu à deux reprises indiquer à la claque militante où applaudir, François Bayrou a présenté le 4 février son programme pour l’éducation. En 30 propositions, il a défendu une conception de l’Ecole très traditionnelle. Des élèves triés selon leur niveau d’entrée en 6ème et leur comportement, des enseignants débarrassés des contraintes “paperassières” imposées par le socle et gardant le statut de 1950. Malgré le poids des contraintes budgétaires, F Bayrou est allé jusqu’à promettre des horaires de cours allégés et des répétiteurs pour encadrer les heures de devoir. Même si F Bayrou a rendu hommage aux Cahiers pédagogiques, dont un représentant participait au Forum du candidat, son discours semble proche des thèses des conservateurs élitistes. Il vise les voix des enseignants du secondaires et particulièrement des enseignants de collège.

“Il faut installer le verbe instruire dans notre pays“, proclame F Bayrou en début de discours. Et il en donne de suite un exemple en affirmant qu’il n’est pas “pour l’école qui abaisse le niveau” et en prenant la défense de l’enseignement “de l’histoire” en terminale scientifique et de la chronologie comme base de cet enseignement. Mais son discours et ses propositions vont s’articuler autour de 4 thèmes : le métier d’enseignant, une pédagogie traditionnelle, les moyens et la place des élèves et des familles.

“Ce qui fait la différence c’est le maître” affirme F Bayrou. L’essentiel du discours est tourné vers cet électorat potentiel. F Bayrou promet le maintien du statut de 1950. Il s’affiche contre l’évaluation par les chefs d’établissement. Il s’élève contre “les procès” intentés aux enseignants, “un pur scandale moral”. “Ceux qui disent qu’ils ne travaillent pas assez ne tiendraient pas deux heures en face d’une classe de collège”, continue-t-il. Il s’insurge contre “la surcharge paperassière” imposée par le socle et le livret de compétences. “Enseigner n’est pas un travail assujetti à la pointeuse” poursuit le candidat alors qu’effectivement un nombre croissant d’établissements secondaires se dotent de clés électroniques. Il promet l’arrêt des réformes et une école “où le respect est la règle”. A défaut de revalorisation, le mot n’est pas prononcé, il laisse entendre que les enseignants pourraient bénéficier d’une baisse des heures de cours : les élèves verraient leurs horaires diminués et le temps libéré pourrait être utilisé pour le travail en équipe des enseignants.

Sur la pédagogie, F Bayrou affiche une neutralité “objective” : ce sont les résultats qui doivent indiquer quelles sont les bonnes méthodes. Mais il envoie de nombreux clins d’oeil en direction des élitistes. Ainsi il préconise “un bac d’excellence” pour les élèves forts en maths et en lettres, c’est à dire l’affirmation de la hiérarchie des filières. Il souhaite que la moitié de l’horaire du primaire soit consacré aux “bases”. Il pousse jusqu’à reprendre les critiques sur la méthode globale..

La question des moyens est à peine traitée. F Bayrou promet le maintien du nombre de postes, c’est à dire le remplacement de chaque enseignant partant en retraite. Mais il promet aussi de diminuer le volume horaire de cours des élèves. Et il veut aussi augmenter le nombre d’enseignants “là où on en a besoin”.

Ce sont les familles et les élèves qui sont censés résoudre ces contradictions. Les familles, F Bayrou demande qu’ on les envoie dans des “écoles des parents”. Pour les élèves il renforce la sélection. ” Aucun élève ne doit entrer au collège s’il n’est garanti qu’il maitrise la lecture et le calcul”, ce qui semble indiquer un examen d’entrée en 6ème comme le souhaite l’UMP. “Le collège doit être diversifié” et les élèves “en situation de rejet” doivent aller dans “un collège hors les murs” . Les enseignants doivent d’ailleurs “informer l’élève sur ce qu’ils ne maîtrisent pas bien” dans leur habillement ou leur comportement. F Bayrou semble devoir choisir entre profs et élèves. Et il choisit les profs.

Le discours et les 30 propositions

http://bayrou.fr/article/francois-bayrou-presente-s[…]

Editorial : L’Ecole doit-elle rester immobile ?

Par François Jarraud

Soumis depuis 10 ans à une avalanche de réformes et de contraintes, voire de brimades, les enseignants peuvent être sensibles à la proposition de F Bayrou de ne rien changer pour les professeurs. Le maintien du statu quo ou le retour à un âge antérieur est il vraiment l’intérêt des enseignants et de la société dans son ensemble ?

Du primaire, avec les programmes de 2008, au lycée, avec la réforme des lycées généraux et technologiques, des lycées professionnels et une seconde réforme du technologique, l’Ecole a bien été soumise à une suite ininterrompue de réformes. Il faudrait y ajouter tout ce qui a été introduit au collège au nom du socle commun avec le livret personnel de compétences. Toutes ces réformes ont été masquées avec des arguments pédagogiques mais toutes ont vite montré leur vrai visage qui est de dégager des moyens et d’affaiblir les structures. Pour les enseignants elles se traduisent par des conditions de travail dégradées, un métier transformé et prolétarisé. Cela pèse lourdement en salle des professeurs où on constate une méfiance immédiate envers l’institution et un découragement général. Ajoutons que cela a aussi malheureusement décrédibilisé le discours pédagogique. C’est un terrain qui peut être d’autant plus sensible aux arguments de F Bayrou que toute annonce de nouvelle réforme peut devenir une brutalité de trop.

Pourtant ce que propose F Bayrou est bien un nouveau cap qui enfermera les enseignants dans un nouveau drame. En flattant les instincts corporatistes, F Bayrou propose d’en finir avec le rêve démocratique. Il propose des bacs d’excellence pour les meilleurs et la sortie précoce des élèves faibles, dont l’entrée au collège serait barrée, et des élèves remuants, expédiés “hors les murs”. Sous prétexte de collège différencié, il abandonne en fait l’idée du socle commun. Il va jusqu’à prôner “dans leur intérêt”, la détection précoce des difficultés des enfants.

Or le pays est condamné à trouver des solutions pour réduire les sorties sans qualification et élever le taux de diplômés du supérieur. Et ce n’est pas en sélectionnant à outrance qu’on peut y parvenir. C’est dans les milieux populaires que sont les gisements de main d’oeuvre qualifiés à découvrir si on veut à la fois sortir de la crise économique et de la crise sociale. Or F Bayrou a beau se présenter en défenseur de la culture, son programme manque sérieusement d’ambition pour ces élèves là. S’il est “humaniste”, il l’est comme l’étaient les hommes du XVIème (siècle !) qui se moquaient de l’instruction des enfants mal né.

Finalement ce que fait F Bayrou c’est opposer professeurs et élèves, les bons élèves et les autres. Et ça c’est typiquement un procédé de discours sarkozien.

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