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Pour Michel Develay, l’innovation est un concept flou. Il invite à le remplacer par l’expérimentation  » au sein de la gouvernance du système éducatif ».

Pour qu’on puisse parler d’innovation, il faut qu’il existe un écart entre ce qu’on considère comme innovant et ce qui est commun et ordinaire que l’on peut qualifier de norme ou de standard. La norme ne propose pas de décrire quelque chose, mais de prescrire ; elle relève d’emblée d’un jugement de valeur. Le standard correspond à l’idée de règle fixée pour définir ou évaluer un produit, une méthode de travail. Standard n’impose pas aussi fortement que norme, mais tous deux sont du registre de ce qu’il convient de respecter, de la normalité.

Or rien ne définit explicitement des standards ou des normes à propos des apprentissages scolaires. Et pourtant, on sait que l’effet maître intervient pour 10 à 20% des résultats scolaires. Et cependant, beaucoup a été écrit par les didacticiens et les psychologues des apprentissages à propos des conditions facilitantes de ceux-ci. Citons l’importance de moments réflexifs, la place à accorder à l’investigation et à la structuration, la fonction du conflits socio-cognitif, la prégnance des représentations, le rôle des langages dans la structuration (l’écrit mais aussi toutes les formes d’expression : schémas,…).

Et encore, il existe un corps d’inspecteurs dont la fonction est de juger les dispositifs d’enseignement et d’apprentissage et de convenir de ce qui convient et de ce qui disconvient.

Ainsi en éducation est-on dans le règne de l’implicite, sans doute pour diverses raisons. Au nom de la sacro sainte liberté pédagogique qui permet à chacun d’agir en son âme et conscience, avec en toile de fond comme repoussoir la crainte d’un temps où un gouvernement imposait ses vues sur ce qu’il convenait de faire. En raison de l’absence de données indubitables de ce qui constitue un enseignement juste et efficace. De par l’absence de réflexion à propos de ce que l’on nomme bonnes pratiques ou meilleures pratiques, vocables rejetés par d’autres, valorisés par d’autres comme les organismes internationaux tels le BIE, ou l’UNESCO. A cause de la relation entre bonnes pratiques en termes d’efficacité et d’éthique de la communication.

Par ailleurs, quand on parle d’innovation, c’est de pratique de classe dont il est question, et rarement d’innovations au niveau de la gouvernance du système éducatif. Ne pourrait-on pas envisager des inspections uniquement collectives, ne pourrait-on pas développer des outils d’auto évaluation, de l’intervision, substituer au corps d’inspecteurs un corps d’experts en conseil et en audit d’établissement, un recrutement par un conseil d’école et pas seulement au barême…

Finalement, ne devrait-on pas proposer aux établissements non pas d’être innovants, ce vocable n’ayant pas de contour précis, mais d’être en expérimentation à partir d’un projet discuté et suivi par des formateurs conseils comme pourraient l’être les formateurs académiques existant, les inspecteurs reconvertis… Les LéA (lieu d’éducation associé) de l’IFE constituent un brouillon de ce possible. Un LéA est d’abord un espace (école, centre de quartier…) où existe un enjeu d’apprendre et qui porte en lui un questionnement qui mobilise ses acteurs. Il nait d’une rencontre entre ce questionnement, cette mobilisation, l’implication d’une équipe de recherche de l’IFÉ, avec le soutien du pilotage de ce lieu (direction d’une école, conseil d’administration d’un centre social…).

On attend que l’innovation advienne comme par génération spontanée des pratiques enseignantes. Et si l’innovation surgissait aussi au sein de la gouvernance du système éducatif. Et si les deux se rejoignaient autour de la mise en place d’expérimentations, voire d’action-recherche-innovation ? Un peu de rationalité et d’objectivation se conjuguerait à la créativité enseignante en vue d’une capitalisation des résultats.

Michel Develay