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Faut-il avoir peur de la territorialisation ? Quelle place demain pour les régions dans l’éducation et l’administration du pays ? Le 9ème congrès de l’association des Régions de France (ARF), qui se tient au palais des congrès de Nantes les 19 et 20 septembre 2013, est marqué par la revendication appuyée, de la part des Régions, d’une réelle autorité politique. Comme en témoignent Alain Rousset, président de l’ARF et Jacques Auxiette, président de la région Loire Atlantique, les régions veulent désormais sortir d’une logique de transfert de charges de l’État vers une dévolution du pouvoir de décision et d’organisation autonomes. Si la décentralisation avance « à tous petits pas » au niveau de l’État, l’impatience s’affirme sur le terrain où les rivalités de compétences avec l’État mais aussi avec les communes ou les métropoles compliquent les décisions et les procédures de financement. Dans la perspective européenne, le voisinage de puissantes régions étrangères (Allemagne, Espagne, Belgique…) pourrait conduire à des stratégies alternatives de regroupement indépendants. Au détriment de la cohésion nationale ?

Les régions ont fait la preuve de leur capacité

Les Régions se défendent de vouloir jouer un rôle hégémonique, mais sur des sujets sensibles comme les transports où l’éducation, les conflits de légitimité se tendent. La loi d’autonomie des universités, par exemple, soulève des difficultés en termes de gestion du patrimoine immobilier ; la concurrence entre systèmes de transports locaux (Régions, Départements, voire communes) et nationaux brouille l’offre et augmente les dépenses publiques sans profit. En ce domaine, les Présidents de Régions revendiquent leur efficacité : là où les services ferroviaires leur ont été dévolus, loin de disloquer la SNCF, ils en ont favorisé le fonctionnement et ont permis le maintien des emplois. Emplois dont on reproche aux régions qu’ils pèsent de plus en plus lourdement sur leurs budgets ; c’est oublier, rappelle Alain Rousset, le poids des transferts de l’État, dont la charge s’alourdit sans supplément de compensation. Deux ministres s’étaient déplacés pour témoigner de la confiance de l’État envers les régions : Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, et Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation.

Compensation intégrale des primes d’apprentissage

Marylise Lebranchu a réaffirmé le renforcement du rôle des régions concernant l’élaboration de la carte des formations professionnelles et leur adaptation à la réalité économique des territoires. Elle rappelle l’expérimentation en cours du service public régional d’orientation dans 8 régions pilotes, et dont la généralisation est prévue dans le second volet du projet de décentralisation. Elle a également annoncé la compensation intégrale aux régions des coûts liés au passage des primes d’apprentissage vers les nouvelles primes versées aux entreprises en 2014. Parlant au nom du Premier Ministre, elle a confirmé que l’autonomie financière et l’autonomie de ressources des régions restent des enjeux essentiels pour une réussite commune.

Comment gérer l’offre éducative dans l’avenir ?

La table ronde consacrée aux mutations territoriales réservait un volet aux questions d’éducation. François Bonneau, responsable éducation à l’ARF, posait d’emblée le contexte : avec un quart de l’effort global de financement porté par les régions, celles-ci entendent bien faire valoir leur vision du service public d’éducation et leurs priorités propres. Très présentes lors de la concertation pour la refondation, elles demandent que cessent certaines aberrations : l’achat d’équipements parfois obsolètes avant même leur utilisation, la construction de locaux sans usage, la sous-utilisation de l’informatique dans l’enseignement, malgré un taux d’équipement élevé, le faible développement des manuels numériques, qui oblige à acheter des manuels papier, faute de formation suffisante des personnels. En ce qui concerne la carte des formations, elle doit dissiper le hiatus entre l’idée que se font les jeunes de leur avenir et la réalité du monde économique, estime-t-il : la désaffection massive envers les filières industrielles est une erreur face aux enjeux de la réindustrialisation. Quant au service public d’orientation, atomisé, ses usagers eux-mêmes l’estiment peu cohérent.

La réponse de la FSU

La secrétaire générale de la FSU, Bernadette Groison, nuance ce tableau un peu rude. Pour elle, le désintérêt de l’État pour le service public d’éducation, pendant plusieurs années, ne doit pas conduire à estimer que sa mission sera forcément mieux réalisée par d’autres. La loi de refondation a restauré des curseurs nécessaires dans le système. Il ne s’agit plus désormais de pallier les manques de l’État mais de travailler ensemble, avec une articulation fine des actions de l’Éducation nationale, des collectivités et des partenaires sociaux. Les défis à relever, estime-t-elle, sont la lutte contre les inégalités (entre citoyens et entre territoires), qui pose de vraies questions de financement, et la réponse aux besoins de formation, immédiatement et en fonction des mutations à venir. Quant au futur service public régional d’orientation, B. Groison reprend l’accusation d’adéquationnisme. L’offre publique de formation ne peut pas se limiter à répondre aux besoins des entreprises, elle doit offrir aux jeunes des perspectives qui dépassent le cadre d’emploi de la région, c’est la responsabilité de l’Etat, rappelle-t-elle, déplorant un manque de concertation préalable à la loi de refondation.

Méconnaissance du monde de l’industrie

C’est justement le fonctionnement actuel de l’orientation que soulève Marie-Guite Dufay, présidente de la région Franche Comté. Pour elle, la désaffection envers des filières industrielles porteuses d’avenir est un drame, qui conduit à leur fermeture, tandis que les entreprises ne trouvent plus à embaucher et que des compétences précises se perdent. En partie faute d’information sur ce qui se passe dans les entreprises : « on pense travail à la chaine et délocalisation alors qu’elles offrent des perspectives beaucoup plus intéressantes que de nombreuses filières tertiaires. » Elle en appelle au partenariat, au-delà des organismes de formation, pour construire de vrais programmes de formation, avec partenaires sociaux, syndicats, organisations professionnelles, qui savent les besoins auxquels il faut répondre. M.G. Dufay revendique aussi l’action de sécurisation professionnelle menée dans sa région, en accord avec les partenaires sociaux et l’État, qui a permis de soutenir des entreprises en difficulté conjoncturelle et de sauver ainsi près de 12000 contrats de travail en 2008 par une prise en charge d’un temps de formation.

Pas une logique sociale, mais économique

La formation professionnelle, ajoute Yves Barou, président de l’AFPA, doit fournir aux entreprises les compétences dont elles ont besoin aujourd’hui et demain. C’est une logique économique, pas sociale – mais pas marchande non plus, précise-t-il. L’emploi est un produit frais qui ne se conserve pas mais qui entraîne des délocalisations quand il n’est pas pourvu. 2 à 300 000 emplois ne sont pas pourvus en France faute des compétences requises. La formation donne un capital humain essentiel, trop d’acteurs n’en sont pas convaincus. Pour autant, le marché ne peut déterminer la cartographie de l’offre. Il faut une autorité régulatrice. Avec les régions, il y a enfin un pilote dans l’avion et rien n’empêche qu’elles cherchent à y gagner en attractivité pour leur territoire. Mais les filières d’avenir sont pointues, coûteuses et très limitées en quantité. Vouloir les offrir partout, c’est risquer de ne les avoir nulle part – raison pour laquelle ces filières ferment. Si on ne structure pas l’offre de formation en fonction des besoins, les filières d’avenir vont disparaître. Yves Barou en appelle à une régulation nationale concertée, qui lutte contre la discrimination mais ne perde pas de vue la réalité de terrain.

Des problèmes tendus, pour ce Congrès de l’ARF, que les participants ont évoqué avec force mais dans un souci patent de progresser ensemble. Une manière de souligner que la montée en puissance des régions, si elle s’accompagne paradoxalement d’un étranglement budgétaire qui les entrave, est un enjeu politique majeur des années à venir. A moins de coopérer et de composer équitablement avec elles, l’État risque d’y voir mis à mal une partie de ses compétences traditionnelles.

Jeanne-Claire Fumet

Numérique, orientation : les régions aux commandes