A relire l’histoire récente et moins récente des TIC en éducation, on constate que l’on en est toujours au stade de l’investissement. Il est temps de passer à une politique de financement et de développement des TIC en éducation fondée sur le fonctionnement. Comment observer les effets d’une innovation en éducation si elle ne peut pas s’installer dans la durée ? Or cette durée, celle de l’apprentissage, car c’est de cela dont il s’agit finalement, n’a rien à voir avec celle qu’ont les financements et leurs modalités d’attribution. Ballottés au gré des politiques, les enseignants souhaitent pouvoir poursuivre sereinement le travail avec les TIC dans leur classe sans craindre un hypothétique futur… Entre les 58 lycées des années 70, le plan informatique pour tous de 1985 et le PAGSI de 1998, nous sommes toujours dans l’investissement dans les TIC en éducation.
Dans le domaine comptable on met en parallèle investissement et fonctionnement. Demandons à voir les budgets de fonctionnement et les budgets d’investissement d’une entreprise ou d’une commune, on s’apercevra que ces deux notions fonctionnent dans l’esprit des gens comme deux univers séparés.
D’une part on met ponctuellement de l’argent sur des moyens spécifiques pour améliorer tel ou tel aspect des choses que l’on développe, on est du coté de l’investissement. D’autre part on assure qu’au quotidien tout se déroule de façon régulière et stable, on est du coté du fonctionnement. Un moment particulier de la vie du gestionnaire est celui où il doit considérer qu’une dépense qui était vue comme un investissement, doit devenir un fonctionnement. Autrement dit c’est celui où il faut considérer qu’une dépense doit s’inscrire dans la régularité et la normalité du quotidien de ce que l’on gère.
La place prise par l’informatique et les TIC en éducation est encore très souvent marquée par cette idée d’investissement. En éducation on peut même dire que c’est la seule figure qui préside au mode d’équipement des établissements. On entend parfois dire du coté des financeurs : « on a investi dans de l’informatique au niveau de la région, on en espère des retombées ». Du coté des enseignants on entend souvent dire, « on manque de matériel » ou « le matériel n’a pas été renouvelé depuis sept ans il est temps que l’on investisse dans de nouvelles machines. » Autrement dit dans l’esprit du financeur comme dans celui de l’utilisateur les TIC c’est de l’investissement.
Les problèmes posés par cette façon de penser les choses sont importants : on pense les TIC comme temporaires et ponctuelles, on pense les investissements comme devant avoir un effet « à court » terme selon un dogme (?) très présent dans le monde financier (le retour sur investissement), on précarise les utilisateurs par l’incertitude de la suite, on raisonne en terme d’équipement et pas en terme d’usage etc.
Comme on peut facilement le constater, on est en présence d’une situation qu’il faut interroger. En pensant les TIC comme un investissement on utilise le cadre de pensée qui va avec : retour sur investissement, remise en cause permanente, idée de pari dans les choix faits. Or cette situation est, à nos yeux, incompatibles avec le fonctionnement d’un système éducatif. Celui-ci basé sur le temps et la stabilité (les enfants passent tout de même près de dix années, au minimum, dans le système éducatif), afin de garantir aux jeunes un environnement à partir duquel ils vont pouvoir construire leurs connaissances. D’un coté on a donc un besoin de stabilité, mais du coté des TIC on constate une évolution à court terme et des changements constants. Il faut donc trouver une façon d’intégrer les TIC qui croise cette constante instabilité avec la nécessaire durée que suppose l’apprentissage. On constate parfois qu’une initiative pédagogique financée en 1997 est en 2002 en péril parce que les priorités d’investissement ont changé. La solution pour les innovateurs c’est de se ruer sur toutes les nouveautés s’ils veulent espérer obtenir des financements. Après les réseaux d’écoles, on se lance dans le cartable électronique ou le bureau virtuel ?
Comme on le voit le système de l’investissement enferme l’introduction des TIC dans un mouvement en permanence axé sur l’innovation et jamais sur la banalisation, la généralisation. Autrement dit, je pense que fonder la politique de développement des TIC en éducation sur de l’investissement c’est condamner les TIC. Les crayons, les cahiers sont de l’ordre du fonctionnement, l’ordinateur et les réseaux aussi. Autrement dit, on ne pourra pas envisager un véritable travail avec les TIC en milieu éducatif si l’on ne passe pas d’une politique d’investisssement à une politique de fonctionnement. Il s’agit d’assurer la pérennité des outils, leur renouvellement régulier. On s’oppose ainsi à cette politique des « à coups ». Comment peut-on comparer l’efficacité des ordinateurs à celle des livres si d’un coté on s’appuie sur la culture pluricentenaire du livre et de l’autre coté on reste dans l’incertain, le provisoire.
Car c’est bien là le problème central, on pense les TIC en éducation comme du provisoire. De fait équiper une salle c’est coûteux (mais c’est spectaculaire !), et l’on pourrait avoir d’autres priorités au nom d’une politique. Mais si l’on choisit de développer les TIC dans le milieu éducatif, et c’est un choix politique, il faut penser en terme de fonctionnement, c’est à dire de régularité, de stabilité, jusque dans le renouvellement. On peut envisager par exemple que l’on s’engage sur un renouvellement par cinquième, voir par tiers des moyens consacrés aux TIC plutôt que de mettre un gros équipement une fois de temps en temps.
Passer de l’investissement au fonctionnement dans le développement des TIC en éducation c’est penser les TIC comme faisant partie de notre environnement ordinaire. Or on observe en ce moment une désaffection qui est directement issue de ce mode de pensée par investissement. « On a mis beaucoup d’argent pour pas grand chose » disent certains, mais on a oublié que depuis plus de trente années des travaux patients et souvent peu connus ont démontré qu’il était possible de faire quelque chose avec les TIC en éducation, mais à deux conditions : que l’on ait le temps et que surtout l’on soit suffisamment modeste pour ne pas confondre les effets d’annonce et les effets pédagogiques….
Bruno Devauchelle
Cepec