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Professeure dans un lycée de La Réunion, Agnès Loth prend à coeur l’éducation à la citoyenneté. Face à des jeunes dépolitisés, elle saisit l’occasion de l’élection présidentielle.

Vous avez une approche originale des élections, celle des politiques de la jeunesse. Pourquoi ce choix ?

Je vis et travaille à la Réunion dans un lycée situé dans un quartier assez défavorisé socialement et mes élèves n’ont aucune culture politique. Ils ne savent pas par exemple si N.Sarkozy est de droite ou de gauche, quel est le parti de François Hollande… Le seul parti qu’ils identifient c’est le Front National comme « parti raciste », ce qui se comprend ici… J’ai donc choisi un angle d’attaque précis car je pensais qu’il était trop fastidieux de travailler sur l’ensemble des programmes. Par ailleurs, il me semble que pour que les jeunes se sentent concernés par ces élections, il fallait choisir une approche qui les touche. Il me semblait aussi qu’à travers les problématiques de « responsabilité », de « solidarité » contenues dans les propositions (allocation d’indépendance par exemple) etc. on pouvait assez bien définir les valeurs de droite et de gauche, donc aboutir à un élargissement de la réflexion. Les programmes pour l’outremer étaient une autre option intéressante mais j’ai fait le choix des programmes pour la jeunesse.

Comment avez-vous organisé cela ?

Au total on a fait 3 séances d’une heure. J’ai introduit cette séquence en ECJS puisque le programme de 1ère traite des thèmes de l’engagement, des partis politiques, du vote et de la représentation. Il y a eu une 1ère partie de travail au CDI sur le rôle et la fonction du président de la république, le déroulement des élections (mode de scrutin, calendrier, conditions d’éligibilité…), une comparaison avec la situation des pays voisins (qui les a beaucoup étonnés et intéressés, notamment sur le fonctionnement de l’Allemagne). La recherche s’est faite à l’aide des ressources CDI, sans Internet. Puis, je leur ai donné par groupe de deux le nom d’un candidat ou une candidate à l’élection présidentielle en France et je leur ai demandé de chercher sur Internet, particulièrement sur les sites de campagne, les propositions concernant la jeunesse. L’entrée thématique m’a semblée préférable pour cadrer le propos et ne pas rendre l’exercice de comparaison trop fastidieux. L’objectif était de comparer les propositions sans en mentionner les auteurs pour en débattre sans parti pris et ensuite tenter de les regrouper « par affinités » pour en dégager les programmes de droite et les programmes de gauche et donc les valeurs de droite et les valeurs de gauche au-delà des programmes. Je m’attendais à devoir donner beaucoup « d’explications de texte » et d’éléments de contexte idéologique et historique mais je ne m’attendais pas à ce que les sites de campagne soient si peu clairs et étoffés… Certains candidats annonçant d’emblée qu’ils n’ont pas de programme précis (N.Artaud, LO)…

Vous avez choisi de faire travailler les élèves sur des propositions sans nommer les auteurs. Pourquoi ce choix ?

Je voulais vraiment que les élèves réfléchissent sur les propositions, pas sur les personnes. En effet, s’ils ne connaissent pas les idées politiques, ils ont des jugements sur les personnalités politiques, parfois sans aucun rapport avec leur idéologie…

Quelles traces les élèves gardent-ils de cette séquence ?

La 1ère partie de recherche sur les élections présidentielles en général s’est faite au CDI sur ressources papier, ils ont donc pris des notes et on a fait une mise en commun qui leur sert de trace écrite. Pour la 2ème partie sur les élections de 2012, ils ont pris des notes sur « leur » candidat afin de pouvoir présenter ses propositions au groupe (demi-classe de 10 élèves de 1ère L). Du débat, pas de trace, c’était oral mais on a noté au fur et à mesure au tableau les idées des uns et des autres, on a fait des regroupements par ressemblance (euh, j’ai un peu aidé, ce n’était pas forcément évident pour eux, et j’ai fait beaucoup d’explication de texte!) et on a dégagé finalement les grandes valeurs de la famille de droite et les grandes valeurs de la famille de gauche qu’ils ont notées. On a également construit une « ligne » des partis allant de l’extrême droite à l’extrême gauche les situant les uns par rapport aux autres.

On sent beaucoup d’allant dans votre démarche. Pourtant le sujet des présidentielles semble être craint et fui par de nombreux enseignants. Ca ne vous fait pas peur ? Qu’est ce qui vous motive ?

Je considère que l’éducation à la citoyenneté est une de nos missions majeures d’enseignants d’histoire-géographie, qui d’autre que nous peut donner à nos jeunes des repères pour construire leur propre réflexion politique? Les séances de présentation des idées ou partis politiques les ennuient souvent mais le contexte de l’élection présidentielle est au contraire un excellent tremplin car les élèves sont très réactifs sur les sujets politiques. Il est donc assez facile de leur montrer que leur analyse des paroles et des actes des responsables politiques est limitée par leurs faibles connaissances des idées politiques. Ils sont donc très réceptifs.

Finalement quelles réactions avez-vous eu des élèves et des parents ?

Les réactions des élèves ont été très positives. Ils se sont passionnés surtout par la mise en commun et le débat sur les « bonnes » et les « mauvaises » propositions (ils étaient les juges) mais ils ont été déçus par l’indigence de certains programmes; ils ont perçu les limites des programmes électoraux et le peu d’importance que certains candidats accordent à la jeunesse. Le lendemain du débat, un élève est venu me voir pour me remercier de lui avoir « enfin expliqué » et il m’a dit « du coup, j’ai enfin pu parler politique avec ma mère ».

Propos recueillis par François Jarraud

Sur le site du Café