« Ce qui transparaît à la lecture du rapport ainsi que des documents antérieurs autour de ce thème, c’est que l’OCDE montre que l’ensemble des pays membres sont en vigilance et/ou en action sur les effets potentiels du numérique sur les enfants » écrit Bruno Devauchelle au sujet d’un rapport de l’OCDE publié au mois de mai « Comment va la vie des enfants à l’ère numérique ? ». Il nous livre sa lecture.
L’Organisation de Coopération et de Développement Economique publie un rapport intitulé « Comment va la vie des enfants à l’ère numérique ? » au mois de mai à l’occasion de la Journée internationale des familles. Ce rapport est complété par ce document intitulé « Des aires de jeu aux écrans – L’enfance à l’ère numérique » . Derrière ces publications, qui font suite à plusieurs documents sur les liens entre enfance et numérique, il y a la volonté de porter une analyse large et approfondie de nombreux travaux et enquêtes et d’en faire synthèse principalement pour les pays membres. Cette organisation qui regroupe des pays démocratiques et ayant adopté une économie de marché effectue ici un travail qui va intéresser tous ceux et toutes celles qui s’intéressent en particulier aux effets de la société numérique sur la jeunesse. Ce rapport approfondi mérite d’être consulté et discuté.
Loin des déplorations et des enthousiasmes, l’OCDE propose une vision équilibrée qui essaie de définir des lignes de force pour l’avenir : » Ce rapport examine à la fois les opportunités et les risques associés à l’engagement croissant des enfants dans le monde numérique.[…] Il explore des stratégies visant à améliorer le bien-être des enfants, en veillant à ce qu’ils soient à la fois protégés et habilités à utiliser les médias numériques de manière positive tout en gérant les risques potentiels ». Et c’est là le fondement de la posture de l’OCDE : le numérique est un fait qu’il n’est pas question d’ignorer ou de refuser, mais il s’agit que les pays soient vigilants en proposant des cadres de développement qui soient respectueux des jeunes.
Prolonger la publication du rapport
Pour ceux qui ne veulent pas lire les documents de l’OCDE, une conférence débat a été mise en ligne. Cette vidéo permet de comprendre les questions posées par ce rapport et les grandes lignes de réponses en particulier dans la prise de parole de Olivier Thévenon qui a piloté la conception et l’écriture de ce rapport. Au cours de cette conférence a été diffusé aussi ce documentaire vidéo de Gilles Vernet : « Et si on levait les yeux ? Une classe face aux écrans« .
Eviter les généralisations hâtives
La présentation des premiers éléments du rapport montre combien les auteurs ont été soucieux d’éviter les généralisations hâtives. « La majorité des adolescents passe plus de 30 heures par semaine sur leurs appareils numériques » évite le biais de la « lutte contre les écrans » sans en préciser les contours de manière plus opérationnelle. C’est à partir de là que ce rapport construit ses remarques et propositions.
Pour les auteurs de ce rapport, tous les temps d’écran ne sont pas identiques et se limiter à l’énumération des temps d’écran est un biais d’analyse. Il est donc nécessaire de différencier les usages et mesurer l’intérêt et les risques spécifiques à chacun d’entre eux. Ainsi un usage actif, modéré et en interaction avec des adultes a des effets positifs sur l’enfant. Ainsi permettre à un enfant d’explorer son identité, que ce soit auprès des plus âge ou en interaction avec des proches est un élément positif de ce que les chercheurs appellent l’individuation. La motivation d’usage, l’intention d’usage, de même que l’environnement familial sont des éléments déterminants.
Il ne s’agit pas de nier les effets négatifs sur certains jeunes. Ainsi la réduction du temps d’échanges langagiers est un des éléments qui freine le développement langagier. Il ne s’agit pas non plus d’ignorer les intentions économiques, commerciales sous-jacentes aux propositions faites aux jeunes et aux adultes avec les moyens numériques.
Plusieurs préconisations et propositions méritent d’être reformulées ici :
1 – Etablir des cadres d’action robustes et promouvoir des technologies qui donnent la priorité à la sécurité des enfants.
2 – Renforcer la culture (éducation aux médias, esprit critique et scientifique…) et les compétences numériques
3 – Dispenser des conseils aux parents et aux personnes qui s’occupent des enfants, les soutenir et les accompagner, afin d’encadrer l’utilisation des outils numériques par les enfants
4 – Tenir compte du point de vue des enfants dans l’élaboration des pratiques des politiques en s’appuyant sur les différents types d’usage
5 – Développer une meilleure compréhension de l’interaction entre la vie des enfants (en ligne et hors ligne) et un certain nombre d’éléments de leur bien-être.
6 – Inciter à la mise en place de réglementations fondées sur des données probantes et d’une action gouvernementale transversale
7 – Elargir la recherche de données solides sur l’impact des comportements numériques des enfants sur leur bien- être
Une vigilance partagée à l’égard des pratiques numériques des jeunes
Ce qui transparaît à la lecture du rapport ainsi que des documents antérieurs autour de ce thème, c’est que l’OCDE montre que l’ensemble des pays membres sont en vigilance et/ou en action sur les effets potentiels du numérique sur les enfants. En même temps, la ligne politique tenue par l’OCDE est bien celle qui consiste à considérer le numérique comme un fait accepté par toutes et tous. Le rapport reconnaît les dangers liés aux usages du numérique chez les enfants, mais tente de les cerner au plus près, même si les travaux de recherche menés sur le sujet ne sont pas assez nombreux et probants.
Par contre en soulevant certains facteurs clés identifiés, le rapport ouvre des perspectives pour aller plus loin dans la réflexion et l’action :
Divers facteurs personnels et environnementaux, présents dans le monde non numérique, peuvent rendre les enfants plus vulnérables à une utilisation problématique des médias numériques. Parmi ceux-ci figurent :
- un faible intérêt pour l’activité physique ;
- des problèmes de comportement,
- Des liens sociaux fragiles ;
- des difficultés familiales (maltraitance, conflits parentaux, éducation inadéquate) et un faible bien-être.
- De plus, l’utilisation problématique des médias numériques et le bien-être peuvent s’influencer mutuellement, aggravant ainsi les vulnérabilités préexistantes.
Le numérique ne peut être étudié sans considérer le non-numérique
Tenter de prendre en compte les éléments non numériques est un angle d’analyse qui nous semble essentiel. A ceux qui sont listés ici à partir du rapport lui-même (p.10) on pourra aussi ajouter des facteurs économiques et sociaux ainsi que les conditions de vie des adultes éducateurs. A l’instar de travaux menés en Belgique, la dimension multifactorielle des effets du numérique sur les enfants doit être approfondie. C’est en particulier le cas des « contenus » qui, au-delà des moyens numériques eux-mêmes, viennent induire des usages (affordance) comme par exemple les courtes vidéos diffusées en flot continu sur certaines plateformes. C’est bien entendu aussi le problème posé par les « dérives informationnelles » rendues possibles aussi bien par les trucages, les manipulations, les montages et autres moyens de générer des contenus non fiables ou peu fiables.
Vigilance pour faire face aux vulnérabilités : l’axe de l’OCDE
L’OCDE est vigilante et le montre tout au long de ce rapport. En mettant en avant la notion de « vulnérabilité », l’organisation évite de désigner des boucs émissaires. De plus, la majorité des jeunes vont bien ! C’est donc aux limites du bien-être que se trouvent les réels problèmes si souvent médiatisés, voire surmédiatisés.
Dans le même temps, il est nécessaire que les décisions politiques soient en mesure d’agir à tous les niveaux, non pas uniquement pour interdire et réglementer, de haut en bas, les fonctionnalités et les usages. Il s’agit donc aussi d’accompagner la population et en particulier les plus vulnérables afin qu’ils ne soient pas soumis aux acteurs du numérique.
Lire et faire lire ce rapport, à tous les niveaux de la société, nous paraît indispensable. Les enseignants tireront de ce rapport, outre une vision internationale de ces problèmes, mais aussi un ensemble d’analyses et de constats qui leur permettront de dépasser leurs expériences personnelles pour les situer dans le cadre d’une vision globale de la société à venir.
Bruno Devauchelle
